« Le long des sables, les cocotiers brûlés par le soleil – quand on connaît la force terrible de leurs racines, quand on a su leur fraternité sèche – nul ne peut plus les confondre avec l'image exotique qu'on en donne : leur office est plus sauvage, et leur présence plus pesante » d'Edouard Glissant. Lorsque le regard de l'autre se pose sur les régions du Sud et des îles de l'outre-Atlantique ; quand l'œil se pose sur la route de la soie ou des épices et que sur l'horizon se profile le Soleil Levant, c'est, souvent, le rêve de l'ailleurs qui taraude l'esprit. L'envie de l'exotisme se fait si intense et si fort que l'image d'un paradis terrestre prend ses assises dans l'imagination occidentale. Et l'on se remémore alors « Femmes d'Alger dans leur appartement » que Christian Delacroix peint dans un romantisme chargé d'érotisme ; les vers des « Orientales » de Victor Hugo où l'atmosphère des Mille et Une Nuits est recréée en strophes et en rimes ou encore les photographies de Landrock et Lehnert qui offre une vision sensuelle des femmes maghrébines. L'art et la littérature regorgent de cette lumière exotique et de cette flore luxuriante. Le rêve de l'Orient se fait dans les teintes bleues ou ocres, jaune or ou lune argent. Nul ne peut nier cette vision ravissante des plages de sables fins, de déserts mystérieux, de médinas plongées dans la pénombre et le secret des portes closes, et enfin la beauté des cocotiers… autant d'images « cartes postales » qui invitent au dépaysement et l'ailleurs. Pourtant, la carte postale cache dans ses soubassements la réalité d'un monde en souffrance. Les racines qui s'ancrent dans la terre sont animées par l'histoire des peuples et des ethnies multiples. Témoins centenaires et immuables, les arbres regardent en silence la procession de l'Histoire : déportations, massacres, formation de nouvelles civilisations etc. des évènements douloureux qui ont changé la face du monde et ont façonné les rapports entre les hommes. Si pour les férus d'exotismes les ex-colonies demeurent une destination paradisiaque, pour les autochtones, ces paradis sont les hauts lieux de la mémoire et de l'histoire personnelle et collective. La sève de l'arbre que l'autre admire est saignement d'une plaie qui se rouvre chaque fois que le passé ressurgit. L'arbre aux racines amères chez Glissant, celui qui murmure l'histoire chez Chamoiseau ou encore celui qui tend vers le ciel en s'ancrant dans la terre chez Boudjedra est cet arbre millénaire, gardien suprême de la mémoire ; la mémoire du temps jadis et de l'à présent, mémoire fuyante dont l'essence même se place toujours dans le futur…