« Victoire, vie, félicité ». Seul l'Arabe lettré pourrait déchiffrer cette prometteuse devise, découverte au milieu du cloître de l'église Magione, sur les ruines d'un puits, dans le cœur historique de Palerme. Rien, en effet, ne vient indiquer au visiteur qu'à cet endroit, le relief poli par le temps d'une arabesque à peine saillante est porteur d'un message de gloire et de joie, écrit en arabe. A Palerme, les traces de l'occupation arabe, même gravées dans le marbre, sont discrètes. Au Palais Steri, ce sont trois colonnes exposées devant le guichet de la réception, déplacées d'on ne sait plus où, qui témoignent de l'époque où ce bâtiment universitaire abritait des Emirs. Il est peu probable que l'enseignant affairé ou que le touriste invité à emprunter l'entrée payante, de l'autre côté du Palais, découvre les quelques lignes de sourates en arabe gravées sur les colonnes, proclamant leur foi en silence. C'est encore en silence qu'on arpentera la Kalsa, l'ancien quartier arabe de Palerme et qu'on percevra, en marchant dans l'entrelacs des ruelles, l'empreinte d'une médina, entièrement détruite en 1943. Parfois, quelques noms de rue transcrits en trois langues, italien, hébreu, arabe, affichent au détour d'une voie piétonne une remarquable mixité. Plus improbable encore, les différentes vagues d'occupants à Palerme ont donné naissance au vocable « arabo-normand ». Ce qualificatif, qui n'a rien d'une boutade, se rapporte à un style architectural combinant harmonieusement diverses influences. Incarné magistralement dans le Palais de la Zisa, qui tire son nom d'Aziz. Le style arabo-normand désigne ce syncrétisme inédit, ce tour de force réunissant des mosaïques byzantines, des muqarnas arabes, des ouvertures en arc brisé et pour finir, un indécelable coup de patte normand. Sublime, la Zisa fait le vide autour d'elle et impose son mystère au milieu des logements populaires, du bruit et de la poussière. Giuseppe Tomasi di Lampedusa, l'auteur du Guépard, s'était peut-être fait la même réflexion en évoquant « ces monuments du passé, magnifiques mais incompréhensibles parce qu'ils n'ont pas été édifiés par nous et qu'ils se trouvent autour de nous comme autant de très beaux fantômes muets ». Il faut dire que la Zisa, cantonnée de nos jours aux murs de son Palais, a perdu, avec son parc, un élément-clé de son identité arabe : la magnifique luxuriance de ses vergers d'agrumes, de ses zoos et de ses bassins enchanteurs. Et si Palerme était le point d'ancrage d'une identité commune à l'ensemble des sociétés méditerranéennes ? De Palerme, pour le journal Le Temps par Folrence PRIVAT