De la chaude Espagne, nous parviennent les clameurs d'une «corrida», dont le corps à corps, vie et mort mêlés, met face à face non pas seulement un homme, face à un taureau, leurs solitudes se confondant l'espace d'une fulgurance dont il faut pouvoir supporter la violence, mais un homme face à une femme et une femme face à un homme, pris dans cette passion ravageuse, autant belle que destructrice, le temps d'une flamboyance, qui ressemble ici fort bien à une descente aux enfers. Du jour où «Manolete», de son vrai nom Manuel Rodriguez Sanchez, matador à l'aura incomparable dans les années 40 en Espagne croise le chemin de Lupe Sino, comédienne à la beauté de feu, il ne connaîtra plus jamais de répit… Du moins, plus pour longtemps, avant qu'il ne bifurque à 180°, pour se retrouver, démuni de tout ce qui jusqu'alors, faisait sa force. Ainsi que la certitude que son destin était accompli. Et qu'il n'avait plus rien à prouver. Cela prendra le temps qu'il faut… Réalisateur et scénariste, Menno Meyies qui semble connaître sur le bout des doigts, les codes de la « corrida » et ceux de l'amour quand il brûle à grand feu les êtres qu'il habite si ce sont des êtres de démesure et de flamme, n'a pas raté son coche, loin s'en faut, du point de vue d'un casting détonnant, réunissant la sensuelle Penelope Cruz à l'acteur Adrien Brody. Théoriquement aux antipodes du genre, mais qui joue ici sur le fil du rasoir, le rôle de cette « icône » que fut « Manolete » dans l'après-guerre, drainant des foules immenses et hystériques dans des arènes où il suffisait d'une étincelle pour mettre le feu aux poudres. Se battant, pouce contre pouce et sans relâche avec la mort, la narguant à chaque fois de plus près, et acceptant d'en être l'éternel otage en sursis, il est ce conquérant « indestructible » qui s'avance, le front haut, sûr de pouvoir maîtriser la « bête », la fièvre dans le regard mais l'attitude impeccable, beau comme un dieu dans son habit de lumière. Et refusant d'abdiquer, fût-ce devant la force de vie d'une passion, offerte comme un cadeau, lui ce toréador qui avait désappris le goût du bonheur depuis longtemps, s'il n'était mêlé de sueur et de sang. Car l'instant de mise à mort, filmé comme la respiration haletante et le souffle trépidant d'une étreinte, dont l'estocade finale ne pourrait être que mortelle, suffit à lui seul à semer la confusion dans l'esprit du spectateur, pris dans cette danse effrénée et macabre, qui ressemble à une chute sans fin. Jusqu'à ce que tout chavire alentour. Alors, quelque chose comme un vertige vous enserre dans ses rets, à la manière d'une couleur pourpre, qui viendrait s'étendre comme un nuage sur l'arène, tandis que deux corps, dissous l'un dans l'autre, s'abandonnent enfin à leur éternelle solitude… Ceux qui attendaient la « Penelope » d'Almodovar ne seront pas déçus mais tout de même un tant soit peu pris à rebrousse-poil, tandis que Brody, que l'on connaissait dans des registres plus cérébraux, imposera le respect, sans pour autant que le duo, charismatique à souhait, ne réussisse à faire décoller le film, dans des hauteurs « vertigineuses ». Mais ce n'est peut-être pas là l'intention de son réalisateur, qui aura eu la lourde tâche de ressusciter une figure de « messie », en des temps où il est difficile de croire à sa résurrection. Pour autant, ce long-métrage ne manque pas de tonus, et de cœur, et distille au final, bizarrement, comme une mélancolie sourde qui s'en va mourir comme une vague, dans les beaux yeux grands ouverts de Lupe/ Penelope Cruz, au cœur d'une tragédie dont l'Amour et tout son bataillon, sont seuls responsables d'un naufrage, comme programmé d'avance. Quand à la « corrida », elle se poursuivra sur d'autres fronts. A la vie, à la mort… Et le cinéma au milieu, comme une forme d'espoir… Samia Harrar * « Manolete » de Menno Meyies, depuis le 2 avril sur les écrans de « Le Parnasse » (Av. H. Bourguiba) et de «L'Alhambra» (La Marsa).