La crise a-t-elle transformé la Réserve fédérale américaine (Fed) en grosse poubelle financière ? En dévoilant sur 161 pages, mercredi 31 mars, la liste détaillée de ses actifs toxiques, la banque centrale américaine s'est attirée autant de moqueries qu'elle a suscité d'inquiétudes. « Dire que le portefeuille de la Fed est un amas d'ordures n'est pas très gentil à l'égard des ordures », ironise, dans une note, David Zervos, analyste chez Jefferies. « La Fed n'a pas à aller bien loin pour comprendre les malheurs d'une banque ou d'investisseurs pris au piège de créances pourries », commente de son côté le Wall Street Journal. Tout a commencé au printemps 2008. Pour venir en aide à des établissements financiers en déroute, tels la banque d'affaires Bear Stearns, et l'assureur AIG, la Fed de New York, une branche de la Réserve fédérale américaine, a accepté de prendre en dépôt certains de leurs actifs toxiques. L'objectif ? Les sortir du système financier, au moins pendant quelque temps, afin de rassurer des marchés au bord de l'implosion. Au total, la Fed aurait ainsi pris à son compte quelque 80 milliards de dollars de créances pourries (59 milliards d'euros). Mais au fil des mois, leur valeur a fondu. Fin décembre 2009, elle n'était plus « que » de 65 milliards de dollars. Répartis dans trois entités ad hoc – Maiden, Maiden II et Maiden III, du nom d'une rue adjacente au bâtiment de la Fed de New York -, ces titres seraient en grande majorité des produits dérivés, tels que des actifs adossés à des prêts immobiliers. Autrement dit, l'équivalent des maudits subprimes. « Ces actifs n'ont pas toujours été pourris. Mais quand la Fed en a pris possession, c'était vraiment le fond du panier », commente l'économiste Paul Jorion, ancien professeur invité à l'université de Californie de Los Angeles… La Fed a-t-elle été trop loin ? « On arrive à une situation explosive », souligne l'économiste Jacques Attali. « C'est un discrédit total du système financier américain : les finances publiques américaines dépendent en dernier ressort de prêts de la Fed qui détient des actifs pourris. » Toutefois, pour certains, la Fed est bien coupable. « Ce qui choque et ce n'est pas chose nouvelle, ce n'est pas tant que la Fed ait accepté ces actifs, mais qu'elle l'ait fait sans conditions », estime Anton Brender, économiste chez Dexia AM. Surtout, pendant de long mois, la Réserve fédérale a rechigné à révéler la teneur exacte de son portefeuille. Pour faire toute la transparence, l'agence de presse Bloomberg a même saisi les tribunaux, en novembre 2008, clamant son droit à l'information. Dans la foulée, des sénateurs américains se sont empressés de dénoncer l'opacité de la banque centrale. Aujourd'hui, la Fed est sous le feu des critiques et son autorité même est remise en question. Fin novembre 2009, la Chambre des représentants a voté un projet octroyant au Congrès un droit de regard sur les décisions de politique monétaire de la Fed, rognant la sacro-sainte indépendance si chère aux banques centrales.