Le Temps-Agences - En coulisses, les intrigues vont bon train dans la ville de Nadjaf pour savoir qui succédera le moment venu au grand ayatollah Ali Al-Sistani, le dignitaire chiite le plus vénéré et influent, âgé de 83 ans. L'Iran espère la désignation d'un candidat plus favorable à ses intérêts. Le départ d'Al-Sistani bouleverserait le paysage politique en Irak. Certains signes montrent que l'Iran cherche à accroître son influence à Nadjaf dans l'espoir de voir un dignitaire pro-iranien succéder au grand ayatollah. Depuis la chute de Saddam Hussein en 2003, Al-Sistani a utilisé son autorité pour tenter de préserver la stabilité de l'Irak en exhortant les chiites à rester à l'écart des violences. Dans le même temps, il a favorisé l'essor et la consolidation du pouvoir politique chiite dans le pays en appelant les fidèles à participer massivement à chaque élection. Malgré un problème cardiaque qui l'a contraint à un séjour à Londres pour suivre un traitement en 2004, ses collaborateurs assurent qu'il est en bonne santé. Son âge avancé explique toutefois que les manoeuvres sur sa succession aient déjà débuté en coulisses à Nadjaf, premier centre théologique chiite au monde avec ses dizaines d'écoles religieuses. Bien que d'origine iranienne, Ali Al-Sistani a gardé ses distances avec le régime iranien et ne souscrit pas au principe du "Welayat-el-faqih" sur lequel se fonde la République islamique, qui désigne le droit des religieux les plus instruits d'exercer le pouvoir politique. Sa succession pourrait donner à l'Iran une occasion de renforcer sa position en Irak. "L'Iran aimerait peser sur la succession d'Al-Sistani", souligne Alireza Nader, un expert de la Rand Corporation, basée à Washington. Mais "le gouvernement iranien pourrait ne pas disposer des leviers religieux et idéologiques nécessaires" pour arriver à un résultat "à son goût". Les observateurs notent que Téhéran renforce sa présence à Nadjaf. "Il y a parfois des tentatives par des mains cachées de s'ingérer dans les affaires du marjaiyah (direction spirituelle collective chiite, ndlr)", déclare le cheikh Ali Al-Najafi, fils et proche collaborateur du grand ayatollah Bashir Al-Najafi, l'un des quatre plus hauts dignitaires religieux de la ville. "On doit s'attendre à ce que des nations étrangères s'ingèrent à Nadjaf", ajoute-t-il dans une allusion implicite à l'Iran. La désignation d'un successeur à Ali Al-Sistani se fera via un processus informel et complexe. Deux grands ayatollahs de Nadjaf sont considérés comme les principaux candidats: Mohammed Ishaq Al-Fayadh, d'origine afghane, et Mohammed Said Al-Hakim. Al-Fayadh, 80 ans, fait figure de favori. Il vit à Nadjaf depuis 40 ans et est, selon les observateurs, le grand ayatollah de Nadjaf le plus proche d'Al-Sistani. Il est connu pour être favorable sous condition à la doctrine du "Welayat-el-faqih", mais cela ne signifie pas nécessairement qu'il soutient l'Iran ou qu'il est le candidat préféré de Téhéran. Il est possible qu'un successeur "intérimaire" soit désigné. Autre hypothèse: personne ne reprendrait le titre d'"al-marja al-akbar" (plus grand objet d'émulation) détenu par Al-Sistani, et les trois autres grands ayatollahs de Nadjaf continueraient à exercer leurs fonctions comme aujourd'hui.