Notre article paru le 5 mai dernier et intitulé : « Accusé d'essais sur des indigènes, Charles Nicolle exclu du musée de la médecine, a suscité une série de réactions. La première que nous reproduisons, nous est adressée en guise de droit de réponse, par le Pr. Ahmed Dhieb, qui a eu un entretien avec notre confrère, auteur de l'article. Voici son droit de réponse: Rameaux d'olivier et de pommier: deux symboles pour deux de nos compatriotes Par Pr Ahmed DHIEB « Si l'on cherche la petite bête à tout un chacun pour l'exclure, ou le dénationaliser, alors on ne s'arrêterait jamais. Et il resterait peu de monde sans le moindre reproche. Pour cela, je souhaiterais apporter quelques éclaircissements et rectificatifs à l'article paru en page 4 du journal Le Temps du 5/05//2010. La conclusion que tire le journaliste lui incombe totalement et j'estime que la discussion que j'ai eue avec lui n'a pas été entièrement et correctement reprise. Entre autres, je n'ai jamais parlé d'exclusion. En tant que Professeur en Médecine, j'estime que nous avons plus intérêt à dialoguer avec autrui qu'à polémiquer. Et que également, et dans le même temps, il est de notre intérêt de tirer profit des fautes et erreurs d'autrui plutôt que de l'enfoncer… En guise de droit de réponse je vous adresse ce qui suit : Charles Nicolle est né à Rouen mais a souhaité être enterré à Tunis. Il aimait la Tunisie. Ce pays qui a pu lui offrir une occasion en or pour faire ses découvertes sur le typhus et obtenir le prix Nobel. Constantin l'Africain est né à Carthage aux alentours de 1015, mort au Mont Cassin en 1087. Il a traduit la plupart des œuvres arabes de l'âge d'or de la médecine arabo-islamique. Ces deux savants là méritent fort qu'on en reprenne le cheminement et que la Tunisie finisse par les reprendre dans son histoire glorieuse. C'est cela la tolérance de ce pays. C'est cela le dialogue des civilisations et des religions cher à notre pays. Et c'est sous cet angle là qu'on devrait les considérer : trait d'union entre l'Occident et l'Orient. Excellents ambassadeurs itinérants entre les deux rives de la méditerranée. Et c'est seulement à partir de ces données essentielles, de cet esprit ouvert et tolérant qu'on pourrait se permettre de discuter de certains détails. Reprenons les choses dans l'ordre chronologique. Constantin l'Africain Né à Carthage de famille probablement chrétienne aux alentours de 1015, mort au Mont Cassin en 1087. Il se rendit d'abord à Babylone où il s'instruisit de façon exhaustive en grammaire, dialectique, géométrie etc. chez les Chaldéens, les Persans et les Sarrasins. De là, il se rendit en Inde, en Ethiopie, et en Egypte, assimilant tout le savoir de l'époque de ces Pays ; il consacra à tout cela ses 39 ans de sa vie. Rentré dans son pays, la Tunisie, son immense savoir suscita bien des envieux, et craignant pour sa vie, il s'enfuit à Salerne, où reconnu par le frère du roi de Babylone, il fut présenté au Duc Robert et fut reçu avec tous les honneurs. Peu de temps après il fut admis au monastère du Mont Cassin par le Prieur Desiderio, et il se fit moine. C'est alors qu'il commence à écrire ses premiers traités de médecine et de pharmacologie, d'aucuns de son cru, d'autres, traduits et inspirés des auteurs de l'école kairouanaise, dont le domaine était plus d'ordre pratique, et ensuite ceux des savants d'Orient qui sans délaisser la pratique, penseront plus en profondeur à la théorie. Je citerai seulement l'Ysagoge de Hunayn ibn Ishaq al ‘Ibadi, et le Kitab al-Maliki de Ali ibn al Abbas al-Majusi, ou Pantegni dans la version de Constantin, ainsi que Zed Al Moussaffer Toutes ses œuvres deviendront la base de l'enseignement médical au XII siècle en Europe. C'est donc à Constantin que l'on doit d'avoir ouvert aux latins, les trésors de l'Orient, qu'ils ignoraient. Il est vrai qu'il n'a pas cité ses sources. Il est vrai aussi que comme le dit le Docteur J. Catalano invité à Kairouan de notre Société d'histoire de la médecine et de la pharmacie, il est vrai qu'il n'en avait pas le choix. Le monde était en pleine période de croisades. Mais il a été le Restaurateur des lettres médicales en Occident et de ce fait, il représente « un trait d'union entre deux cultures» Charles Nicolle En 1953, l'«Hospice Général» de Rouen prend le nom d'«Hôpital Charles Nicolle», c'est la reconnaissance de la ville à son seul «Prix Nobel». Mais un autre hôpital en Tunisie porte son nom depuis 1946. Il est le siège du musée national de médecine de Tunisie dans lequel doit figurer et en bonne place ce médecin. Charles Nicolle est né à Rouen le 21 septembre 1866. Après des études au lycée Corneille de Rouen, il fréquente la Faculté de Médecine, pour marcher sur les traces de son père, Eugène Nicolle, médecin-chef à l'hôpital de Rouen, et de son frère Maurice, professeur à l'Institut Pasteur. Il continuera ses études à Paris, auprès de son frère. En 1894, il exercera la médecine à Rouen, puis aux hôpitaux de la ville. Mais, atteint de surdité, il abandonnera la médecine pour la microbiologie. En 1903, il est nommé directeur de l'institut Pasteur de Tunis. Et c'est à Tunis qu'il découvrit, en 1909, que le pou du corps est le principal vecteur du typhus, ce qui permit de prévenir les épidémies de typhus en éliminant les poux. Pour ce fait qui sauve bien des vies humaines, tunisiennes, françaises mais aussi de toutes nationalités, il reçoit le prix Nobel de Médecine en 1928. Pour les Français, c'est un prix Nobel français. Pour nous autres, c'est un prix qui a été le fruit de travaux effectués en Tunisie. D'aucuns pourraient reprocher qu'il ait exercé nombre d'expériences sur « les indigènes ». Mais l'histoire ne s'écrit pas toujours avec des lettres glorieuses. C'en est ainsi. Notre histoire à nous n'a pas eu non plus que des pages illustres. Ishaaq Ibn Omrane ne fut-il pas exécuté sur la place publique ? Charles Nicolle fut élu à l'Académie des sciences en 1929, et a été nommé professeur de bactériologie au Collège de France en 1932. Il meurt à Tunis, le 28 février 1936. Sur sa tombe, en Tunisie, on peut voir deux rameaux entrelacés, pommier et olivier, symboles de la Normandie et de la Tunisie. Symbole d'un dialogue nécessaire C'est cela qu'il faut garder à l'esprit. Pour nos deux compatriotes. Et c'est dans cet esprit qu'il faut voir le monde. En mettant toujours un prisme tolérant. Un esprit de dialogue. Tout autre esprit que celui là est suicidaire. A un moment de mondialisation certaine ». NDLR : Nous nous limitons à reproduire cette phrase utilisée par le Pr. Dhieb : « D'aucuns pourraient reprocher qu'il ait exercé nombre d'expériences sur « les indigènes ». Mais l'histoire ne s'écrit pas toujours avec des lettres glorieuses. C'en est ainsi »…Et nous comprenons par là que Charles Nicolle n'y a pas échappé lui non plus…