L'article paru dans le journal « Le Temps » du 5 mai courant relatif à l'exclusion de Charles Nicolle du Musée de l'histoire de la Médecine pour cause d'expérimentation sur des Tunisiens communément appelés à l'époque « Les indigènes » et la réponse du Pr. Hachemi Louzir, Directeur de l'Institut Pasteur ainsi que les précisions ( Le Temps du samedi 8 mai 2010) du Pr. Ahmed Dhiab, Président de l'Association de l'histoire de la médecine, suscitent bien des interrogations sur cette période que nous pouvons qualifier de « trouble » de l'histoire de la Médecine Tunisienne. Période qui dépasse le cadre de l'Institut Pasteur de Tunis pour atteindre et englober l'hôpital Psychiatrique de la Manouba. Au cours de mes recherches entreprises dans le cadre de la rédaction du livre « Médecine et médecins de Tunisie, de Carthage à nos jours », paru en février dernier chez « Berg-Edition », il m'a été donné de passer sur cette période avec quelques commentaires eu égard à la nature de mon livre. Cependant, j'estime que cette période à elle seule, nécessite à n'en point douter, qu'on s'y penche avec beaucoup plus d'attention et surtout beaucoup plus de profondeur. Il faut tout d'abord situer le contexte de la Tunisie de cette époque coloniale au cours de laquelle les Français croyaient dur comme fer en leur mission civilisatrice des peuples de pirates, qualificatif dont on désignait et la Tunisie et l'Algérie. Passons sur les véritables raisons qui étaient de pomper les richesses de ces deux pays pour arriver à cette constatation on ne peu plus affligeante qui désignait les Tunisiens par le terme ô combien péjoratif « d'indigènes », autrement dit des sous hommes. De là à penser que des médecins français installés en Tunisie au cours du Protectorat ne répugnaient pas à expérimenter certains médicaments sur ces indigènes, il n'y a qu'un pas. Pour le Pr. Ahmed Dhiab, Secrétaire Général de l'Association Tunisienne d'histoire de la Médecine, ce pas est vite franchi, nous semble-t-il, puisque « les précisions » qu'il voulait apporter dans son article du 8 mai courant sont venues confirmer ce qu'il avait avancé sous la plume de mon collègue Salah Ben Hamadi, journaliste aguerri, ayant derrière lui plusieurs années d'expérience. Dans l'article du Pr. Dhiab, nous avons cherché en vain la preuve irréfutable de l'implication de Charles Nicolle. Rien. Des allégations et rien que des allégations et autres soupçons dénués de tout fondement. Connaissant la rigueur scientifique du Pr. Dhiab, nous croyons qu'il s'agit plutôt d'un malentendu. Alors que Salah Ben Hamadi traitait du Musée de l'histoire de la médecine, le Pr. Dhiab parlait du stand de l'Association d'histoire de la Médecine au « 1er Salon de la Santé » organisé au mois de mars dernier au Kram. Le Pr. Hachemi Louzir, par contre, a apporté la preuve que Charles Nicolle n'avait jamais trempé dans ce type d'expérimentation dont le champ se trouvait ailleurs qu'à l'Institut Pasteur. Prenant à témoin le Pr. Amor Chadly dont la rigueur scientifique est connue de tous, il relate, preuve à l'appui le déroulement de plus d'une expérience faisant état de la volonté de Charles Nicolle et de bien d'autres de ses collègues de ce que nous pouvons appeler « l'école française de Tunis » d'utiliser leur propre corps pour certaines expériences. Faut-il traiter les médecins de cette école française de Tunis sur un pied d'égalité ? Certainement pas car, un peu plus loin et plus précisément à l'hôpital psychiatrique de la Manouba se passaient des choses on ne peut plus suspectes, on ne peut plus douteuses. Dans leur livre sur « L'hôpital Razi de la Manouba et son histoire », les Dr. Fakhreddine Haffani et Zied M'Hirsi, traitent de l'histoire des traitements des maladies mentales en Tunisie tout en s'attardant sur la période coloniale. Créé par décret beylical du 20 mai 1924, cet édifice ne put accueillir «ses premiers malades que le 1er juillet 1931. Ils étaient tous musulmans », précisent les deux auteurs qui ont tenu à présenter les différentes pathologies mentales de l'époque et les soins prodigués avec les commentaires qui s'imposent en l'état actuel des choses. Edifiant ! Plus édifiants et saisissants les témoignages du personnel paramédical ayant travaillé dans cet hôpital au cours de la période coloniale. Citons le seul exemple de l'emploi des électrochocs en 1943. Un infirmier témoigne : « On étale les nattes à même le sol. On met les malades sur une table. On leur met un morceau de coton dans la bouche et on fait passer le courant électrique dans le malade (sic)… On les remet sur la natte… On étale les malades l'un à côté de l'autre et on passe au suivant… C'était “Sokk et Takki” (littéralement : Donne un coup de sabot et met de côté). Que ne faisait-on pas subir à ces indigènes qui, de surcroît, étaient fous. Ces patients qu'on entassait par dizaines couchés dans une même chambre, sur des nattes à même le sol, faisaient partie d'une race inférieure, selon la fameuse théorie dite « constitutionnaliste » du Dr. Porot. Selon cette théorie « les indigènes sont considérés comme des malades mentaux potentiels du fait de l'infériorité de leur race et des enseignements de leur religion ». Ce médecin qui était à Tunis avant de diriger l'Ecole psychiatrique d'Alger, croyait dur comme fer à sa théorie. Il en allait de même pour son disciple le Dr. Mareschal qui dirigea l'hôpital de la Manouba à deux reprises, avant et après la seconde guerre mondiale. Le seul médecin tunisien qui pouvait dénoncer cette théorie le moins qu'on puisse dire raciste et lutter contre avec plus ou moins de bonheur fut le Dr. Salem Esch Chadely, psychiatre ayant exercé à l'hôpital de la Manouba au cours de la même période. Usant de son talent d'orateur et de sa plume, il fustigea cette thèse dont les Conclusions « constituent la violence la plus hardie et la plus agressive à la conscience humaine dans le domaine scientifique que je connaisse » au cours de plusieurs réunions tant en Tunisie qu'en France ainsi que sur les colonnes de journaux tunisiens. Cette campagne a valu à son auteur d'être relevé de ses fonctions une première fois en 1939 avant d'être révoqué définitivement du Conseil de l'Ordre des médecins en 1948. Il décéda d'une crise cardiaque d'origine émotive, le 11 juin 1954 et attend toujours sa réhabilitation à titre posthume. Ce bref rappel historique nous met dans l'ambiance de l'époque coloniale où le Tunisien, « indigène » de son état devient « un malade mental potentiel ». Les choses étant ce qu'elles étaient, quelles limites pouvaient avoir les médecins français de l'hôpital psychiatrique de la Manouba pour leurs expérimentations ? Aucune, selon toute vraisemblance. Le Dr. Salem Esch Chadely neutralisé, ils pouvaient s'adonner à toutes les expériences qu'ils voulaient. C'est précisément vers cet hôpital que l'Association Tunisienne d'histoire de la médecine doit orienter ses recherches pour savoir la vérité. · Journaliste et écrivain Histoire de la Médecine Les années “troubles” de la colonisation Par Mohamed BERGAOUI L'article paru dans le journal « Le Temps » du 5 mai courant relatif à l'exclusion de Charles Nicolle du Musée de l'histoire de la Médecine pour cause d'expérimentation sur des Tunisiens communément appelés à l'époque « Les indigènes » et la réponse du Pr. Hachemi Louzir, Directeur de l'Institut Pasteur ainsi que les précisions ( Le Temps du samedi 8 mai 2010) du Pr. Ahmed Dhiab, Président de l'Association de l'histoire de la médecine, suscitent bien des interrogations sur cette période que nous pouvons qualifier de « trouble » de l'histoire de la Médecine Tunisienne. Période qui dépasse le cadre de l'Institut Pasteur de Tunis pour atteindre et englober l'hôpital Psychiatrique de la Manouba. Au cours de mes recherches entreprises dans le cadre de la rédaction du livre « Médecine et médecins de Tunisie, de Carthage à nos jours », paru en février dernier chez « Berg-Edition », il m'a été donné de passer sur cette période avec quelques commentaires eu égard à la nature de mon livre. Cependant, j'estime que cette période à elle seule, nécessite à n'en point douter, qu'on s'y penche avec beaucoup plus d'attention et surtout beaucoup plus de profondeur. Il faut tout d'abord situer le contexte de la Tunisie de cette époque coloniale au cours de laquelle les Français croyaient dur comme fer en leur mission civilisatrice des peuples de pirates, qualificatif dont on désignait et la Tunisie et l'Algérie. Passons sur les véritables raisons qui étaient de pomper les richesses de ces deux pays pour arriver à cette constatation on ne peu plus affligeante qui désignait les Tunisiens par le terme ô combien péjoratif « d'indigènes », autrement dit des sous hommes. De là à penser que des médecins français installés en Tunisie au cours du Protectorat ne répugnaient pas à expérimenter certains médicaments sur ces indigènes, il n'y a qu'un pas. Pour le Pr. Ahmed Dhiab, Secrétaire Général de l'Association Tunisienne d'histoire de la Médecine, ce pas est vite franchi, nous semble-t-il, puisque « les précisions » qu'il voulait apporter dans son article du 8 mai courant sont venues confirmer ce qu'il avait avancé sous la plume de mon collègue Salah Ben Hamadi, journaliste aguerri, ayant derrière lui plusieurs années d'expérience. Dans l'article du Pr. Dhiab, nous avons cherché en vain la preuve irréfutable de l'implication de Charles Nicolle. Rien. Des allégations et rien que des allégations et autres soupçons dénués de tout fondement. Connaissant la rigueur scientifique du Pr. Dhiab, nous croyons qu'il s'agit plutôt d'un malentendu. Alors que Salah Ben Hamadi traitait du Musée de l'histoire de la médecine, le Pr. Dhiab parlait du stand de l'Association d'histoire de la Médecine au « 1er Salon de la Santé » organisé au mois de mars dernier au Kram. Le Pr. Hachemi Louzir, par contre, a apporté la preuve que Charles Nicolle n'avait jamais trempé dans ce type d'expérimentation dont le champ se trouvait ailleurs qu'à l'Institut Pasteur. Prenant à témoin le Pr. Amor Chadly dont la rigueur scientifique est connue de tous, il relate, preuve à l'appui le déroulement de plus d'une expérience faisant état de la volonté de Charles Nicolle et de bien d'autres de ses collègues de ce que nous pouvons appeler « l'école française de Tunis » d'utiliser leur propre corps pour certaines expériences. Faut-il traiter les médecins de cette école française de Tunis sur un pied d'égalité ? Certainement pas car, un peu plus loin et plus précisément à l'hôpital psychiatrique de la Manouba se passaient des choses on ne peut plus suspectes, on ne peut plus douteuses. Dans leur livre sur « L'hôpital Razi de la Manouba et son histoire », les Dr. Fakhreddine Haffani et Zied M'Hirsi, traitent de l'histoire des traitements des maladies mentales en Tunisie tout en s'attardant sur la période coloniale. Créé par décret beylical du 20 mai 1924, cet édifice ne put accueillir «ses premiers malades que le 1er juillet 1931. Ils étaient tous musulmans », précisent les deux auteurs qui ont tenu à présenter les différentes pathologies mentales de l'époque et les soins prodigués avec les commentaires qui s'imposent en l'état actuel des choses. Edifiant ! Plus édifiants et saisissants les témoignages du personnel paramédical ayant travaillé dans cet hôpital au cours de la période coloniale. Citons le seul exemple de l'emploi des électrochocs en 1943. Un infirmier témoigne : « On étale les nattes à même le sol. On met les malades sur une table. On leur met un morceau de coton dans la bouche et on fait passer le courant électrique dans le malade (sic)… On les remet sur la natte… On étale les malades l'un à côté de l'autre et on passe au suivant… C'était “Sokk et Takki” (littéralement : Donne un coup de sabot et met de côté). Que ne faisait-on pas subir à ces indigènes qui, de surcroît, étaient fous. Ces patients qu'on entassait par dizaines couchés dans une même chambre, sur des nattes à même le sol, faisaient partie d'une race inférieure, selon la fameuse théorie dite « constitutionnaliste » du Dr. Porot. Selon cette théorie « les indigènes sont considérés comme des malades mentaux potentiels du fait de l'infériorité de leur race et des enseignements de leur religion ». Ce médecin qui était à Tunis avant de diriger l'Ecole psychiatrique d'Alger, croyait dur comme fer à sa théorie. Il en allait de même pour son disciple le Dr. Mareschal qui dirigea l'hôpital de la Manouba à deux reprises, avant et après la seconde guerre mondiale. Le seul médecin tunisien qui pouvait dénoncer cette théorie le moins qu'on puisse dire raciste et lutter contre avec plus ou moins de bonheur fut le Dr. Salem Esch Chadely, psychiatre ayant exercé à l'hôpital de la Manouba au cours de la même période. Usant de son talent d'orateur et de sa plume, il fustigea cette thèse dont les Conclusions « constituent la violence la plus hardie et la plus agressive à la conscience humaine dans le domaine scientifique que je connaisse » au cours de plusieurs réunions tant en Tunisie qu'en France ainsi que sur les colonnes de journaux tunisiens. Cette campagne a valu à son auteur d'être relevé de ses fonctions une première fois en 1939 avant d'être révoqué définitivement du Conseil de l'Ordre des médecins en 1948. Il décéda d'une crise cardiaque d'origine émotive, le 11 juin 1954 et attend toujours sa réhabilitation à titre posthume. Ce bref rappel historique nous met dans l'ambiance de l'époque coloniale où le Tunisien, « indigène » de son état devient « un malade mental potentiel ». Les choses étant ce qu'elles étaient, quelles limites pouvaient avoir les médecins français de l'hôpital psychiatrique de la Manouba pour leurs expérimentations ? Aucune, selon toute vraisemblance. Le Dr. Salem Esch Chadely neutralisé, ils pouvaient s'adonner à toutes les expériences qu'ils voulaient. C'est précisément vers cet hôpital que l'Association Tunisienne d'histoire de la médecine doit orienter ses recherches pour savoir la vérité. · Journaliste et écrivain