Antigone parlait du gouffre, qui s'ouvrait au fond d'elle, comme un trou, pour exprimer son sentiment d'amour. Et ces mots, qui à priori ne sont pas exactement ce qu'on pourrait attendre d'une prose amoureuse, produisent pourtant un effet immédiat, étrange, sur le lecteur potentiel, qui ne comprend pas pourquoi il se sent touché au cœur par cette vague définition d'un sentiment universel, lors même que les mots, isolés de leur contexte, doivent aboutir au néant. Car qu'est-ce qu'un “trou”, qu'est-ce qu'un “gouffre” quand d'autres vont décrocher la lune, ou regardent le soleil dans les yeux ? C'est justement à cela que tient le mystère de “l'émotion poétique”, cet état de soi qui conspire à exprimer l'état du monde en abolissant toutes les frontières de l'indifférence, à la manière d'un miracle toujours recommencé. Mais ne peut pas qui veut, semblent expliquer les différents intervenants de ce colloque, dont le présent ouvrage communique la teneur, sous la direction de Ridha Bourkhis qui en signe la préface. S'appuyant chacun sur l'exemple de ses auteurs de prédilection – qu'ils soient poètes au romanciers -, les intervenants (Lionel Bey, Lamence Bougault, Abbes Ben Mahjouba, Alia Baccar, Agnès Fontvieille, Brigitte Buffard – Moret, Philippe Zard, Michel Collot, Alex Callebaut, Sophie Milcent – Lawson, philippe Wahllbtissem Bouslama, Samia Kassab Charfi, Jorn Boissen, Abdallah Baïda, Ridha Bourkhis) ont disséqué la notion même d'émotion poétique, pour tenter de trouver, chacun à sa mesure, les raisons à ce trouble, à ce bouleversement, suscité chez le récepteur, lequel trouble quand il est advenu, implique immanquablement la réussite de l'œuvre. Car cette émotion, censée être passagère, perdure pourtant d'un lecteur l'autre, sans qu'il soit possible d'en situer exactement ce qui fait lien et fait mouche, à tous les coups. Articulé en trois parties, le livre : “L'émotion poétique” (Les Editions Sahara – avec le concours de l'Institut français de coopération), fouille le concept même d'émotion, avant d'en traquer la trace dans la poésie. “Pour définir l'émotion”, “poésie et émotion”, et enfin “Emotion poétique dans le texte en prose” auront été les axes de réflexion des communicateurs, autour notamment d'une question essentielle : l'émotion poétique naît-elle de la sincérité de l'auteur, d'un élan spontané, d'une tension vive, ou de l'art de manier les mots, d'user de la transgression formelle pour aboutir à un effet irrévocable conduisant à cette incidence : l'émotion poétique en question ? D'aucuns répondront que la beauté – esthétique – n'est pas forcément fille de la sincérité. Ou alors elle serait le fruit d'une union adultère heureusement aboutie, quand d'autres se prononceront – toutes proportions gardées – sur l'immanence de la sincérité comme vecteur d'émotion – poétique – irréfutable. Conditions ciné quanone pour conduire le lecteur, à pas sûrs, et comme sous hypnose, vers ce schéma de “jouissance” et de “douleur” mêlés, vers l'ineffable comme vers le plus exquis chant du monde, à travers des mots … simplement.