La retraite est supposée être un long fleuve tranquille, au moins pour ceux qui ont donné le temps à l'épargne régulière et bien organisée. Cela n'en fait pas moins que, comme pour d'autres secteurs de la vie, nous sommes rattrapés en Tunisie par les carences qui font actuellement les débats les plus houleux un peu partout dans le monde. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les palabres discrètes émergent de temps en temps pour demander à repenser les modes de financement des Caisses et les formules qu'on appelle de péréquation qui se traduisent le plus souvent par des ajustements à la hausse des cotisations. Le système tunisien est réputé être généreux dans la mesure où des catégories sociales démunies ont pu profiter de la solidarité des générations successives dans un pays « jeune ». Les caractéristiques démographiques du pays, beaucoup de jeunes en âge de travailler et peu d'élus aux différents régimes de retraite, ont permis de garder le cap pour pratiquement deux générations. Tout le monde se disait que les Caisses étaient « riches », au point qu'il arrivait d'y puiser pour arranger quelques difficultés de trésorerie. Aménagements de plus en plus urgents Mais les temps ont changé, et pour la couverture de l'Assurance maladie et pour le tapis des retraites. Cela fait même une décennie que des solutions de rafistolage ont été mises en œuvre pour gagner du temps. Mais il a bien fallu se rendre à la raison, et de temps à autre, on rediscute des aménagements, de plus en plus structurels qu'on doit apporter aux régimes de retraite. Qu'on en parle peu, et publiquement, chez nous, ne signifie pas que les clignotants soient au vert. Loin s'en faut. Le rouge est mis, ne serait-ce qu'en raison du ralentissement patent du flux des réserves attendues en amont. En clair, le régime de retraite ne peut survivre que dans la mesure des cotisants en nombre conséquent. Ceux qui travaillent aujourd'hui injectent l'argent frais qui permet aux Caisses de remplir leurs engagements. De là à imaginer que la crise actuelle de l'emploi constitue un manque à gagner chronique au niveau des caisses, il n'y a pas photo. En face, il n'y a pas de discussion possible sur le service autant légitime que régulier du droit à des pensions acquises à la force du travail. Les deux contraintes, parfois opposées, peuvent être gérées par la fuite en avant. Beaucoup de pays l'ont fait, et pas des moins développés, au moins sur le papier. On voit ce que cela donne en Grèce et en Espagne, et aussi en France. Le contribuable est encore et encore appelé à la rescousse, au point que lui aussi n'a plus de quoi payer, dans le cercle vicieux de l'argent qu'on fait tourner pour créer l'illusion de la marche en avant. Le retraité est aussi et souvent un expert On dira, à raison, que La Tunisie n'est ni La Grèce ni le Portugal. On peut tout autant ajouter qu'il est possible de se donner les moyens de contourner la fatalité en inversant les variables de l'équation. Et si finalement la logique de la retraite dévolue à la coupure totale avec le monde du travail n'était, dans certains cas, qu'un pis aller, hérité d'un monde qui a fait son temps ? Beaucoup d'hommes d'affaires, qu'on ne peut soupçonner de brader leurs intérêts, font appel à des retraités pour les missions les plus délicates sinon celles qui nécessitent un savoir faire avéré et immédiat. Ils ne le font pas toujours dans la stricte observation de la réglementation en vigueur, mais personne n'a vraiment à se plaindre. Pour être capable de générer du travail, et les bénéfices qui vont avec, les vétérans peuvent continuer à être des atouts. Pas tous les vétérans, cela va de soi, et pas dans n'importe quel cas de figure. Il est seulement question de beaucoup de Tunisiens ayant eu une carrière bien remplie pour avoir un niveau de savoir-faire et d'expertise générateurs d'idées pertinentes et d'ingénierie suffisante pour créer la dynamique qui manque tant aux jeunes, qui peuvent être pleins de bonne volonté, mais qui manquent d'expérience. La question qui se pose immédiatement : pourquoi voudrait-on que le retraité en question se remette au boulot quand il se suffit de sa pension gagnée à la force du travail ? L'argument serait imparable si on ne devait pas constater que pour certains corps de métiers, en général de maîtrise, de conception, de gestion, la retraite peut laisser des regrets traduits le plus souvent en désolation de ne pas voir l'œuvre arrivée à maturité se perpétuer. Bien entendu, les gratifications doivent être conséquentes. Bien sûr, il y a des aménagements à repenser, en particulier sur le plan juridique. Mais l'enjeu en vaut la chandelle, puisqu'il est dit et répété que le défi capital posé à la communauté est de multiplier les niches d'emploi.