Un bon journaliste, un journaliste comme il faut, un journaliste qui se respecte et qui n'accepte pas de se laisser piétiner par le premier pion venu, le journaliste idéal, quoi, c'est-à-dire celui qui ne nous ressemble guère, à nous autres modestes « couvreurs » et coureurs des soirées du Festival de Carthage ; ce journaliste-là donc devrait avoir son propre matériel, son propre moyen de transport, un parking à sa disposition, des entrées et des issues pour lui seul, une enceinte, des gradins et des coulisses où il peut circuler à sa guise. D'une certaine manière, il lui faut presque organiser son propre festival privé et y inviter qui il veut comme artistes et comme public ! Anarchie généralisée Cette boutade nous a été inspirée par le chaos total et presque quotidien qui règne à l'entrée, non, aux entrées multiples de l'amphithéâtre romain de Carthage, et dont pâtissent trop souvent les hommes et femmes de la presse. Pour accéder au site, il leur faut tous les soirs, essuyer une ou plusieurs brimades par-ci, des humiliations par-là, les vociférations d'un tel ou les récriminations d'un tel autre, les caprices des gardiens de barricades et les humeurs très changeantes des agents d'accueil. A chaque point de contrôle, les journalistes sont régulièrement confrontés à un quelconque contretemps ou à une quelconque contrariété. L'autre soir, à l'occasion du concert de la chanteuse française Hélène Ségara, ils eurent à revivre ce type de scénario déplorable avec le chauffeur du bus chargé de les transporter entre Tunis et Carthage. Celui-ci décida de partir en direction de l'amphithéâtre romain plus tôt que prévu et laissa donc tomber quelques habitués du trajet. Il justifiera plus tard cet empressement inhabituel par une consigne stricte qu'il aurait reçue des organisateurs du festival. Vérification faite auprès de ces responsables, le chauffeur aurait mal interprété la recommandation de ses supérieurs. Dérogations spéciales A huit heures pile donc, le véhicule quitta presqu'en catastrophe l'avenue Mohamed V en direction de la banlieue nord. Il paraît même que quelques collègues arrivés juste à l'heure durent frapper aux vitres du bus partant pour se faire prendre par monsieur le chauffeur. Or, jusque-là, ce minibus spécial ne prenait la route vers Carthage qu'après vingt heures et quart et il lui était arrivé d'attendre pendant une demi-heure supplémentaire certains collègues retardataires et quelquefois les ami(e)s personnels de ces journalistes. Samedi dernier, l'employé du ministère décida néanmoins de déroger à cette permissivité et de poser un lapin à ceux qui naguère toléraient, la mort dans l'âme, son manque de ponctualité récurrent et les retards de certains confrères et consœurs. Il faut dire que ce n'était pas la première fois que le bus faussait compagnie à quelques uns de ses habitués : au retour de Carthage aussi ou en partance vers Hammamet, les chauffeurs du ministère de la culture et de la sauvegarde du patrimoine se permettent d'oublier un, deux ou trois journalistes distraits. Une fois, cet été, nous passâmes après l'un des spectacles du festival, moins de dix minutes dans les coulisses de l'amphithéâtre. En sortant, nous ne trouvâmes aucune trace du minibus qui devait nous ramener à Tunis. Contacté par téléphone, le conducteur jura que les journalistes qu'il avait déjà fait monter l'avaient pressé de partir en le rassurant sur le sort des collègues défaillants. Lorsqu'il rebroussa chemin pour nous prendre, personne parmi les passagers ne démentit sa version des faits. Samedi dernier, nous arrivâmes à la station du bus à vingt heures trois minutes et vîmes depuis le trottoir d'en face comment le véhicule partait presqu'à la sauvette vers Carthage. Ce qu'il n'avait paradoxalement pas fait la veille à l'occasion du gala de Kadhem Essaher, concert que nous faillîmes manquer à cause justement de la trop généreuse patience de notre transporteur. Tout cela pour dire qu'en définitive, le bus des journalistes est mal géré. On y déplore un manque flagrant de coordination entre les journalistes eux-mêmes et un défaut de cohésion avec le chauffeur du bus. Ce dernier fait parfois des siennes et ne débarque qu'à l'heure qui lui convient. Il lui arrive aussi de nous laisser poireauter un bon quart d'heure sur le trottoir avant d'ouvrir les portes de « son » véhicule. Ses prises de bec avec les journalistes sont de plus en plus fréquentes et les très rares fois où il est de bonne humeur sont écourtées par ses passagers qui, de diverses manières, le provoquent et raniment son aigreur coutumière. C'est que dans ce minibus, il y a plus d'un pilote ! Voilà pourquoi nous proposons aux organisateurs des prochaines éditions du festival de Carthage de réserver à chacun de nous son véhicule et son chauffeur particuliers. Libre à nous après cela de prendre sur notre route un collègue en retard ou de lui rire au nez !