Dans un documentaire français consacré à des portraits de cinéastes arabes, Elia Suleimane interrogé à propos de l'influence du cinéma arabe sur son parcours, avait eu cette formule lapidaire : « Aucune ; le cinéma arabe est bruyant et inesthétique ». Provocateur ? Le grand cinéaste palestinien l'est incontestablement. La qualité présumée d'un film est d'abord affaire de goût et les grandes œuvres sont consacrées d'abord par les critiques ensuite par les historiens du cinéma. La médiocrité n'est pas consubstantielle au cinéma arabe, ni inscrite dans un quelconque patrimoine génétique comme voudrait nous le faire croire les culturalistes de tout bord. Elle n'est pas non plus une fatalité que l'on devrait subir du fait de notre inscription dans l'aire culturelle arabo-musulmane. Il y eu, il est et il y aura des œuvres marquantes venant d'Egypte, de Syrie, du Liban, de Palestine du Maroc, d'Algérie ou de Tunisie. Que celles-ci soient statiquement négligeables cela va sans dire, mais cette proportion est probablement comparable à celle des films de qualité produits aux Etats-Unis ou en Europe. Il y a par ailleurs des éléments objectifs qui pourraient expliquer le retrait relatif du cinéma arabe : Sa jeunesse (exception faite de l'Egypte qui s'est dotée d'une industrie dès les années 20) et sa prétention à ne faire que du cinéma d'auteur, donc élitiste et difficilement accessible au grand public (l'Egypte constituant encore une fois une exception). Si le cinéma arabe est incontestablement en crise quasi structurelle, les films des Téguia, Suleimane, Khéchiche, Ben Saidi, Salhab pour ne citer que ces réalisateurs sont là pour nous rappeler qu'il y a des raisons d'espérer. Qu'Elia Suleimane considère que le cinéma arabe soit bruyant dans son ensemble voilà qui est moins critiquable, il est même devenu plus bruyant ces dernières années. Un cinéma bruyant est un cinéma où l'on parle pour ne rien dire de plus que ce que nous montre déjà l'image, où les dialogues sont là pour expliquer au spectateur ce qu'il a déjà compris, pour remplir le vide abyssal de la mise en scène. L'efflorescence des fictions télévisuelles a comme déteint sur les films arabes mis dans l'obligation de plus parler pour se faire comprendre. Plus, l'absence de vrais dialoguistes de cinéma n'est pas sans conséquence sur la qualité de ce que l'on dit et la manière à travers laquelle on le dit. Difficile de trouver de mémoire, les noms de cinq dialoguistes de métier dans le cinéma arabe. Plus et dans le Maghreb auquel nous appartenons, les problèmes évoqués plus haut sont compliqués par la difficulté qu'ont nos réalisateurs et scénaristes à trouver un juste milieu entre l'Arabe classique, désuet, ampoulé et très fortement connoté et un arabe dialectal certes vivant mais limité. Dans nos contrées, on parlerait au cinéma trop et mal, mais ce débat n'est pas spécifique à la région. Cette mort de l'image à cause du trop plein de mots a déjà été très fortement décriée dès l'avènement du son au cinéma ; On sait la très forte résistance opposée par Charlie Chaplin aux « Talkies », la disparition de Keaton et de monstres sacrés du cinéma muet constitue par ailleurs un des principaux contrecoups de l'irruption du son dans le cinéma. Mais c'est la désormais subordination de l'image aux dialogues qui a fait le plus de mal au film. Théâtral, ampoulé, explicatif, le verbe durant les premières années du parlant a tué toute l'inventivité de la mise en scène de l'époque du muet. Stanley Donen dans « Singing in the rain » rend compte d'une manière enjouée et comique des dégâts occasionnés par le passage au cinéma sonore. Depuis le cinéma a trouvé sa voie et un juste équilibre entre l'image et le son. Non que le mot soit à bannir, tout le cinéma de Bergman repose sur cette faculté qu'a le verbe de rendre possible, la Catharsis. Antonioni, autre grand moderne a fondé son œuvre sur l'éloquence des silences.