Les huitièmes rencontres cinématographiques de Béjaia (RCB) organisées par l'association project'heurts se sont tenues cette année du 29 Mai au 5 Juin. Dans l'attente de la réouverture imminente de la cinémathèque, c'est le théâtre régional de Béjaia (TRB) qui a été l'hôte de ces rencontres. Après un intermède plutôt heurté avec le centre culturel de la ville qui a abrité le festival en 2009, les organisateurs ont opté cette année pour un espace de liberté, le TRB, marquant par cet acte leur attachement à l'indépendance du festival et leur rejet de toute entreprise de récupération politique. Difficile en effet de comprendre la portée de cette manifestation sans l'inscrire dans un contexte politique local et national. Béjaia, ville portuaire à l'histoire pluriséculaire, cultive une image d'ouverture conjuguée à l'affirmation d'un particularisme kabyle essentiellement réactif dont les origines remontent à la politique d'arabisation à marche forcée des année soixante. C'est le champ de la culture qui constitue le lieu par excellence d'expression d'un discours sur les spécificités régionales matérialisés entre autres par le recours systématique au Tamazight en tant que vecteur de communication. Identités plurielles Depuis leur fondation, les rencontres cinématographiques de Béjaia se présentent à leur manière comme les dépositaires de cette histoire de lutte des mouvements culturalistes pour une algérianité plurielle. Sans dogmatisme, cela va sans dire, le festival est en train de s'imposer comme un laboratoire de réflexion et de proposition sur le présent et le devenir du cinéma algérien dans toutes ses déclinaisons. Les dimensions maghrébine et méditerranéenne du cinéma en Algérie sont explorées à travers la projection de films réalisés par des cinéastes de l'émigration et des programmes consacrés aux cinémas marocain et tunisien. Fidèle à une ligne qu'il s'est fixé depuis déjà quelques éditions, le festival est ouvert sur tous les genres, courts-métrages, documentaires et longs-métrages et des cartes blanches offertes à des festivals (Festival international du film francophone de Namur cette année) ou à des chaînes de télévision (Arte). Dégagée du Diktat de l'actualité, les RCB sont avant tout un lieu de débat sur le jeune cinéma algérien et maghrébin. Un débat suivi avec assiduité par les cinéphiles de Béjaia et les invités étrangers du festival. Au-delà des films, ces débats sont l'occasion pour des réalisateurs (dont c'est parfois le premier court-métrage) mais aussi pour les spectateurs de déployer un discours sur les films, pas toujours bien articulé mais indispensable pour la vie de ce cinéma fragile et très peu exposé promu par le festival. Ces débats favorisent par ailleurs ce qui constitue un des points forts du festival, la proximité entre réalisateurs, publics et invités. Les RCB se veulent chaleureuses, simples et décontractées et ce n'est pas un hasard si de grands noms du cinéma algérien tel que l'acteur Ahmed Ben Aissa ou le grand chef opérateur Allal el Yahiaoui font partie des invités réguliers d'un festival qui a réussi à constituer autour de lui un élan de sympathie en passe de dépasser les frontières de l'Algérie. Du côté de la participation tunisienne, deux films ont été présentés, «Un conte de faits», le documentaire de Hichem Ben Ammar, et «Riah» de Lotfi Mahfoudh son premier court-métrage d'animation. Prenant ses distances avec la simple transposition de techniques importées, Lotfi Mahfoudh réussit quelque chose de relativement inédit dans le paysage du film d'animation en Tunisie ; La création d'un univers qui dégage une certaine vérité grâce à un subtil dosage entre un graphisme «arabisé» et des parti pris de narration empruntés aux contes populaires bien de chez nous. Un mariage heureux entre Adelaziz Laroui et Walt Disney (versant animation traditionnelle). L' Esav de Marrakech était à l'honneur, et les films des étudiants de cette école sont la preuve de la pertinence des orientations pédagogiques de cette jeune institution de formation, probablement la plus dynamique et la plus prometteuse de la région. Rupture consommée entre générations ? La formation est aujourd'hui le talon d'Achille de la jeune cinématographie algérienne. Les faiblesses des courts-métrages algériens qu'il nous a été donné de voir mettent en lumière le caractère impérieux de la création d'une grande école de cinéma dans un pays qui a été une grande nation de cinéma, pionnière dans la région. Ce ne sont pas tant les idées qui manquent, la « corde » de Omar Zamoum ou le film de Mounès Khammar pour ne citer que ces deux films sont intéressants par ce qu'ils entreprennent de penser mais ils se réduisent à du simple filmage. Or le cinéma est au-delà de la mise en image d'un scénario. Le talent existe, l'énergie aussi, la jeunesse est bouillonnante et ne demande qu'à être orientée. A ce niveau, la responsabilité historique des aînés en Algérie est incontestable. Qu'ont fait les Allouache, Chouikh, Hajjaj , Bahloul et beaucoup d'autres pour les jeunes d'aujourd'hui ? Qu'ont-ils transmis ? Rien. Alors que ce sont les seuls qui seraient en mesure d'agir sur les pouvoirs publics auprès desquels ils ont leurs entrées pour la mise en place de structures de formations dont les retombées politiques et économiques pour le pays seraient on ne peut plus bénéfiques. C'est le sens de la programmation de la soirée de clôture du festival où un long-métrage de feu Meddour, important cinéaste algérien des années soixante-dix et quatre-vingt (formé à la VGIK de Moscou grâce à une bourse de l'Etat algérien) a été présenté avec le court-métrage de Omar Zammoum, jeune cinéaste autodidacte, excellent scénariste. Invité à présenter le film de son collègue décédé en 2000, Belgacem Hajjaj a digressé pendant une demi heure sur l'héroïsme des cinéastes de sa génération face à la surpuissante machine étatique. Estimant avoir payé son tribut à l'histoire (ce qui reste à démontrer), une génération entière de cinéastes s'est coupée de la jeunesse de son pays et de son devoir historique de transmission. La rupture générationnelle est-elle définitivement consommée ? Tout porte à le croire lorsqu'on entend ce type de discours écoeurant de paternalisme et d'autoglorification. La vitalité des RCB, leur jeunesse et leur pérennité sont le meilleur antidote contre le fatalisme. Agir, filmer et espérer.