Difficile de trouver l'équivalent du terme «Ghobn», en langue française. Mais ça doit exister. Enfin une reconnaissance, même à titre posthume vaut sûrement mieux qu'un oubli sans appel. L'ennui c'est que les défunts ne sont plus là pour dire ce qu'ils en pensent. A charge pour les vivants de témoigner pour eux. Par fidélité à leur mémoire, pour passer le relais, faire œuvre de transmission, et s'assurer que tout n'est pas perdu en somme, et qu'il n'est pas vain d'espérer. Le risque, c'est d'aligner les commémorations pour enterrer encore plus ceux qu'on célèbre aujourd'hui, avec la vague conscience du devoir accompli, et la satisfaction de celui qui a fermé une page, après avoir ouvert un livre, subrepticement, pour faire trois petits tours et puis… s'en vont. A Nefta, les 8-9 et 10 octobre courant, hommage a été rendu à l'écrivain et poète Mustapha Khraief, à l'occasion du Centenaire de sa naissance (1910-1967). Organisée par l'instance culturelle de tutelle, et le comité chargé du Centenaire, la manifestation qui s'est choisi pour cadre, la ville d'origine du conteur ineffable que fut Khraief, «Royaume des eaux» » et vallée des poètes s'il en est, a eu pour point fort, indubitablement, l'exposition consacrée à l'auteur de «Les larmes de la lune», soigneusement préparée par Mohamed El May, et offrant au regard, un florilège de photos, de caricatures, de manuscrits précieux, et de publications, permettant à tous ceux qui s'intéressent à l'œuvre et au chemin de vie de Mustapha Khraief, de découvrir des facettes du personnage, et la richesse de son legs culturel, au-delà de toute langue de bois, et des lieux communs qui entourent généralement ce genre d'évènements. Un colloque s'étalant sur deux jours (les 9 et 10 octobre) et réunissant une pléiade d'universitaires, d'écrivains et de poètes, aura permis de jeter un éclairage nouveau sur l'œuvre de celui qui fut l'un des compagnons de route du cercle littéraire « Taht Essour », et fut suivi surtout par des spécialistes de l'œuvre de celui qui a signé « Chawq Wdhaouk », et qui a enrichi les colonnes des journaux de son époque, par ses critiques sans concession, tout autant que par son engagement aux côtés des causes données alors perdues d'avance, mais qui ont triomphé de l'adversité et de la crasse ignorance. Mustapha Khraief compte parmi les rares alors, à avoir défendu, et soutenu, tout autant Aboulkacem Chebbi quand tout le monde lui tournait le dos, que Tahar Haddad vilipendé plus qu'à son compte pour ses idées réformatrices et autrement avant-gardistes. Ce qui n'est pas peu dire… Cela étant, à l'issue des deux soirées poétiques organisées pour l'occasion, un constat s'impose : si les poètes ont répondu présents en nombre, la poésie, elle, était plutôt aux abonnés absents. Et le meilleur du récital de la soirée de Tozeur, fut sans nul doute le poème qui n'a pas été déclamé : celui de Sghair Aouled Ahmed. Peut-être une autre fois? Toujours est-il que la célébration du Centenaire de la naissance de Mustapha Khraief à Nefta, au-delà de la symbolique du geste, aura eu quand même son creux de la vague : ces querelles intestines, et mesquines, ayant jeté un froid entre l'Union des écrivains tunisiens, et le Comité d'organisation de la manifestation, et la tentative, quelque peu aboutie hélas, de la « personnalisation » d'un hommage, qui se devait d'être dénué de tous calculs équivoques, ou terre à terre, lors même qu'il s'agissait de célébrer l'esprit et la culture, à la mémoire d'un poète et créateur qui avait le ciel et la dignité d'un palmier, pour unique horizon.