Nefta, surnommée le « bourgeon de miel » par les habitants de cette région du sud tunisien , réputée pour ses palmeraies florissantes et ses dattes succulentes. Elle est également réputée par ses éminents savants, ses hommes de lettres et ses poètes dont notamment Aboul Kacem Echabbi, ce génie et écorché vif, à la muse précoce et au verbe acerbe, qui interpelle et remet en cause les tabous, les préjugés et les idées figées. Ce touche à tout de génie a quitté ce monde à un âge où il était en pleine effervescence, mais a laissé derrière lui des adeptes qui se sont accrochés à ses idées, pour suivre ses pas et continuer la mission qu'il s'est engagé à remplir, sans pouvoir l'achever, car il a « manqué de temps ». Mohieddine Khraief qui vient de s'éteindre, à l'âge de 79 était de ceux¬-là. Il est issu d'une famille passionnée de littérature et de poésie, dont notamment le grand poète Mustapha Khraief, et le grand romancier Béchir Khraief, ses aînés et qui ont tiré leur révérence, voilà déjà quelques années. C'est à l'université Ezzeïtouna que Mohieddine a pu puiser dans le patrimoine de la langue littéraire arabe et apprendre la versification sur des bases solides. Mais sans ce don inné qu'ont eu les membres de cette famille littéraire, il n'aurait pas pu réussir, quand bien même il aurait acquis la technique de la poésie. Ses poèmes auraient manqué d'âme.L'âme de poète il l'avait dans les gènes. Il a en effet commencé à écrire dès sa tendre jeunesse ( parmi ses recueils : Chansons d'enfance) et a tenu, en continuant sur les pas de ses aînés, à avoir un genre littéraire qui le distinguait. C'est ce qui fascine chez les Khraief. Chacun a son cachet propre, comme la griffe du peintre sur un tableau ou la touche du musicien sur une partition. Tout en étant un protecteur de la poésie classique, il n'hésitait pas à faire introduire dans ses poèmes un zeste de néologisme dans le genre du renouvellement adopté déjà avant lui par Aboulkacem Echabbi, ainsi que par Mustapha Khraief et quelques autres. Cela ressort nettement dans ses recueils « Paroles aux étrangers » ou « L'enfant au papillon d'or ». Ce renouvellement se retrouve notamment chez son aîné feu Bechir Khraief qui a adopté dans le dialogue, la langue dialectale et ce dans plusieurs de ses romans dont « Khlifa Lagrâa ». Mohieddine Khraief n'est pas mort, car il a laissé de quoi évoquer sa mémoire par ses œuvres consistantes, tant au niveau de la parole qu'à celui des idées. Comme c'est le cas pour Chabbi, Mustapha Khraief, Béchir Khraief, il faut longtemps pour exploiter toutes les idées qu'il s'est évertué à communiquer sa vie durant. Lui aussi, il a manqué de temps pour nous les révéler dans leur totalité. A nous de les déchiffrer, et ce sera la meilleure façon pour ne pas l'oublier, et de continuer à communiquer avec lui, là où il pourrait se trouver. Paix à son âme.