Mercredi, la troupe de l'Atelier Théâtre de Tunis a donné à El Hamra, la première de sa nouvelle création « Le Dieu du Carnage », une adaptation de la pièce homonyme de Yasmina Reza, auteure dramatique irano-russe. Le spectacle fut joué, samedi dernier, devant une commission du Ministère de la culture et de la sauvegarde du patrimoine. Nous avons eu le privilège d'assister en « avant-première » à la représentation de ce huis clos encore plus noir que le drame sartrien de 1944. Le règne de la fausseté Pourtant, « Le Dieu du carnage » commence par une scène de réconciliation dans un salon confortable et accueillant qui réunit des voisins de longue date. On s'apprête à régler à l'amiable un « petit » différend autour d'une dispute « anodine » entre les enfants des deux familles. Mais on lit déjà dans les civilités et les complaisances échangées, dans les sourires forcés des uns et des autres, dans l'hospitalité empruntée des amphitryons et dans l'humilité affectée de leurs hôtes, bref dans cette ambiance de fausse convivialité, les prémices d'un conflit imminent. Au fil de l'action, on assiste à des affrontements d'une violence inouïe non seulement entre les voisins mais au sein de chaque couple. Les masques tombent les uns après les autres et toutes les tentatives de raccommodement et de colmatage des brèches échouent lamentablement pour laisser la place à une nausée générale. Les acteurs venaient de jouer sous nos yeux une vaste comédie sociale qui met à nu l'hypocrisie, l'égoïsme et l'incommunicabilité des êtres appelés pourtant à vivre unis et solidaires. Le téléphone qui n'arrête pas de sonner dans cette pièce ne rapproche plus les hommes ; c'est désormais une source de dérangement et de nuisance; c'est un instrument de malfaisance et de « carnage »! Dérive collective Tout s'avère contrefait dans cette pièce en définitive tragique : les rapports de « bon voisinage », l'amitié, l'amour conjugal et filial, la défense des causes humanistes, les convictions écologistes etc. Seuls triomphent la petitesse, le profit personnel, la concupiscence mesquine, l'orgueil, la vanité, l'intolérance, l'indifférence. « Le Dieu du carnage » met en scène le procès d'une humanité inhumaine, mais qui se donne bonne conscience en jouant la vertu, l'honneur, la générosité et l'amour du prochain. Grande supercherie qui, hélas, perdure jusqu'à se banaliser, jusqu'à ne plus déranger personne ; pire : jusqu'à séduire, jusqu'à tenter tout le monde ! Même ceux dont on attend qu'ils « défendent » les grandes valeurs humaines ! Certes, il y a un avocat sur scène, Alain Reille, mais il prend fait et cause pour le Diable et sert « le Dieu du Carnage » plutôt que le « Bon Dieu », de plus en plus esseulé ! Seuls rescapés de cette dérive morale collective : les enfants Bruno, Ferdinand, Camille et le petit hamster de cette dernière, acteurs absents que l'on présente pourtant comme l'origine du « Mal-entendu » ! Une troupe qui renaît de ses cendres «Le Dieu du Carnage » est merveilleusement interprété par Dany Tomasso (excellente dans le jeu de la fausse amabilité), Alberto Canova (quel génie ! quel talent !), Fatma Met'henni Chaulet (très convaincante dans l'expression de la nausée) et Jean-Claude Vernaz (magistral dans son jeu d'avocat véreux et sans scrupules). La mise en scène est d'Alberto Canova, le décor et le son sont confiés à Lassaad Laloui et Denise Martin. C'est Adel Mothéré, le très sympathique animateur culturel de la RTCI et président de la troupe, qui s'occupe de la régie générale. L'Atelier Théâtre de Tunis n'en est pas à sa première pièce, loin s'en faut ! Le répertoire de la compagnie compte déjà 35 spectacles dramatiques, pour la plupart inspirés de grandes œuvres classiques dues à des auteurs aussi prestigieux que Tchékhov, Courteline, Sartre, Hugo, Feydeau, Diderot, Oscar Wilde, Pirandello et Sacha Guitry. Créé dans les années 70, l'Atelier Théâtre de Tunis monte surtout des pièces francophones. La troupe comptait en son sein des dizaines d'acteurs ; mais aujourd'hui et pour diverses raisons, elle est considérablement réduite. Cependant et en dépit des difficultés, le groupe fait tout pour s'imposer bénéficiant de l'appui du Ministère de tutelle qui, reconnaît Adel Mothéré, leur ouvre toutes les portes, et surtout du soutien inconditionnel de la compagnie du Théâtre El Hamra dirigée par Ezzeddine Gannoun et Layla Toubal. D'ailleurs, c'est l'espace El Hamra qui, pour le moment, héberge les membres de l'Atelier Théâtre de Tunis, et la première du « Dieu du Carnage » y sera donnée le 20 octobre prochain à 19 heures.