L'objectif de ces JMC qui viennent de s'écouler est, selon le ministre de Tutelle, de sortir du cadre étroit du « Festival de la chanson tunisienne » qui « moisissait » depuis quelques années, en offrant la chance à toutes les expériences musicales nationales, arabes et méditerranéennes de se faire connaître. En espérant qu'elle fera venir à l'avant-scène les jeunes artistes qui représentent la relève et l'avenir de notre art musical. Cet objectif a-t-il été atteint ou bien nous reste-t-il encore beaucoup de chemin à parcourir ? Pour en savoir un peu plus, nous nous sommes entretenus avec l'un des compositeurs les plus pertinents et les plus discrets de la place. Nous avons nommé « l'Ogre » Ouanès Khligène, diplômé de l'Institut supérieur de Musique en 1996, puis diplômé en composition de Paris VIII, en 1996, et qui a produit pour le théâtre, la télévision, le cinéma et la radio. Violoniste premier pupitre au sein de l'orchestre de la ville de Tunis sous la direction de Mohamed Garfi, il a aussi composé pour l'orchestre philarmonique de la ville de Tunis, sous la direction de Ahmed Achour : « Touareg » en 1998 et « Mon amour est comme la mer » pour l'ouverture du festival d'El Jem en 2000. En parallèle, il fut aussi directeur artistique de l'orchestre de la Méditerranée (fondé par Kamel Ferjani) depuis 1992 à nos jours. Entretien :
Le Temps : Alors, M. Khligène où en est la musique tunisienne ? Ouanès Khligène : Pour moi, il faudrait que ceux qui s'y collent s'occupent de réparer leur beauté intérieure pour prétendre ensuite produire de la belle musique. Tout est à base d'esthétique et la pollution leur cache la vue. La plupart, d'entre eux, sont des suiveurs qui n'ont pas la témérité de partir à la recherche des chemins de la création. Ajoutons à cela que ces derniers temps, est apparue la mode de ce qu'on appelle pompeusement « La musique du monde ». On forme une équipe hétéroclite, dont les membres sont issus de divers pays, pour se donner et donner aux autres l'impression d'être dans l'air du temps. L'art n'a jamais été une mode ! Etre musicien relève de l'universalité. La vraie musique ne peut être cantonnée à l'intérieur de quelque frontière que ce soit. On n'est plus aux temps de l'idéologie, de la morale et des genres déterminés et définitivement fixés. L'art, c'est offrir du beau. Et peu importe où l'on vit et de quelle nationalité on est. Si être musicien tunisien, c'est employer les ingrédients usuels, et de plus en plus usités de la musique tunisienne, on ne pourrait pas être dans le mouvement évolutif des arts. Il suffit de vivre en Tunisie pour sentir en soi les racines et les origines de la musique tunisienne. Mais il ne suffit pas de s'en contenter pour lui donner de nouvelles façons d'être, de vivre, de donner des couleurs à l'existence, à sa fadeur et à sa platitude. Il ne faut pas s'agripper au legs des anciens, jusqu'à ce qu'il tarisse mais rester ouvert au monde, au cosmos, à la nature, aux humains où qu'ils se trouvent. Kamel Ferjani a fait de son mieux pour que le festival de la chanson tunisienne qui s'est métamorphosé en journées Musicales de Carthage, puisse apporter un plus, à même de faire évoluer un domaine qui semble avoir été frappé par la sclérose depuis des décennies. Il a rendu hommage aux anciens artistes, invité d'autres issus de pays étrangers et formé un orchestre pour l'occasion. Ceci n'est pas du tout évident et il a risqué gros en optant pour une telle aventure. Ces journées furent une réussite parce qu'il y avait égalité des chances pour tous, jeunes et moins jeunes avec leurs diversités et leurs différences. Il a aussi encouragé les compositeurs et les arrangeurs. Quant à son spectacle intitulé « Ce fut un rêve, il fut soutenu par un quatuor d'interprètes (deux luthistes, un contre- bassiste et percussionniste). « J'en suis à mon sixième concert : « Le grain », « Le silence de la mer », « Vision ethnagogique » « Ikaât » et deux albums : « Le grain » et « Tanagham ». Il ne suffit pas d'être académique, de s'entêter à prouver qu'on est un virtuose, pour faire que la musique ait un avenir. Il faudrait décaper notre intérieur pour accéder à la beauté. Malheureusement, « cette notion ne peut être acquise. Elle peut certes évoluer ou mourir, mais on ne peut la semer, car ou bien on l'a dans le cœur, ou bien on donne l'impression de l'avoir pour tromper notre petit monde». Ainsi parla Ouanès Khligène, alias le grand Silence, un roc transparent dont la fragilité est celle des diamants.