Par Khaled GUEZMIR - Il aura fallu une révolution… puis une insurrection à la Kasbah pour ramener M. Caïed Essebsi à ce qui était appelé communément « Dar El Bey » ou « Eddywan », ce Palais du gouvernement qui date de l'époque Hafside. Vous allez me dire que de temps perdu ! Je vous répondrai, la politique est ainsi faite et le déclic de l'Histoire est souvent provoqué par une combinaison alchimique entre le rationnel et l'irrationnel, le prévisible et l'accidentel, la malchance et la chance. En tout cas, cette dernière semble à nouveau sourire à la Tunisie après une tempête miraculeuse, mais une tempête quand même, car sans elle qui aurait pu déloger un dictateur hors normes et sa bande de malfaiteurs irascibles et corrompus. Le nouveau locataire de la « Kasbah » a le talent du conteur mais aussi le charme de l'acteur politique, qui puise dans les profondeurs du terroir pour nous rendre enfin la Tunisie, notre Tunisie, qui nous a été confisquée par 23 ans de pillage systématique à tous les niveaux : politique, économique et identitaire. Le retour à certaines valeurs coraniques immuables et à la « Sira » bénite du Prophète vénéré, « Mohamed », est un appel des profondeurs de notre peuple pour qui l'Islam est croyance « Akida » et comportement « Soulouk ». L'ancien pouvoir n'avait en réalité ni l'une, ni l'autre. C'était tout simplement « l'ère » de l'excessif dans tous les sens du terme, un mauvais goût maniaque et immesuré pour le luxe, un Etat fortement dépensier, pour fabriquer une « image de marque » totalement erronée et médiocre, sans compter l'arrogance du « milieu » et des courtisans qui se sont appropriés les rouages du système tout entier. « Assidkou fil kaoul, wal ikhlasou fil amel » (La vérité dans la parole et la rigueur dans le travail », le bel d'écho d'une voix lointaine qui nous vient d'un certain « Bourguiba », en pleine lutte pour la libération et la construction de la Tunisie moderne celle qui a libéré la femme, rationalisé la religion et construit les barrages, les écoles et les universités sur toute l'étendue du territoire ! Que de « passions » dans ces petites phrases d'un homme apaisé par des années de retraite et de réflexion à distance de l'évènementiel… mais que de sagesse et de sincérité. Il assume ses combats anciens et sa proximité avec Bourguiba, mais ce qui est connu de M. Caïed Essebsi, c'est qu'il n'a jamais été servile, bien au contraire. Il a pratiqué et manié la « rébellion » plus d'une fois et a quitté souvent le gouvernement pour s'affirmer libéral et réformiste. C'est pour cela qu'on peut attendre de lui une « transition » progressiste et dynamique, avec l'aide de Dieu et un peu de chance. Mais attention de lui mettre la barre sur les hauteurs de l'inaccessible ! Rétablir l'autorité et surtout la moralité de l'Etat et la sécurité ; doit être sa première tâche et ce n'est pas rien. Mais si le Premier ministre veut entrer dans l'Histoire par la grande porte, c'est l'occasion unique de nous monter un système démocratique, libéral et social à l'occidentale de façon à mettre la Tunisie sur l'orbite universelle des temps modernes. Je précise. La Révolution du 14 janvier n'a pas été celle des partis des syndicats ni des idéologues affûtés de tous genres. Ils y ont certes contribué, et on ne peut que rendre hommage à tous ceux et toutes celles qui ont lutté valeureusement contre la répression aveugle du dictateur. Mais ce qui est certain, c'est que cette Révolution portée par la jeunesse, était l'expression de l'ensemble de notre peuple et de toutes ses catégories sociales sans distinction, pour un changement radical et qualitatif de l'exercice même de la politique, de son expression et de sa structuration. Les jeunes qui « brûlent » par milliers vers l'Occident ne sont pas seulement à la recherche du travail… mais aussi de la liberté et de la dignité. Autrement ils auraient « brûlé » vers Cuba ou l'Iran. C'est vers l'Italie, la France, l'Allemagne, l'Espagne et même la Scandinavie qu'ils mettent le cap parce que ces pays sont démocratiques et libéraux. Ces jeunes en ont marre du totalitarisme bolchévique et stalinien et ne veulent pas d'un nouveau absolutisme idéologique ou religieux excessif et contraignant. La Tunisie mérite bien une démocratie à l'occidentale. La Pologne, la Bulgarie et la Tchécoslovaquie étaient moins développées que nous économiquement et politiquement, il n'y a pas si longtemps. Ne ratons pas cette chance et disons à haute voix : plus jamais en Tunisie de dictature au nom de quoi que ce soit. Ni au marxisme dogmatique, ni obscurantisme ! Notre ferveur actuelle doit s'atteler à construire une démocratie libérale pacifique et créatrice de progrès, de dignité et de joie de vivre ! Clair et simple et irréversible !