Par Khaled GUEZMIR - Des jeunes de la Kasbah à Mme Sihem Ben Sedrine sur le plateau de la « Nationale 1 » on semble développer une certaine méfiance à l'égard du gouvernement « Caïed Essebsi » ! Méfiance, excessive ou pas, tactique ou pas, mais personne ne peut la nier. Au fait que reproche-t-on au juste, au Premier ministre (on oublie souvent qu'il est provisoire ! ), au-delà d'une certaine tendance à « mettre au pas » la révolution ? Deux choses : la nomination d'un ministre de l'Intérieur à qui on reproche d'avoir été le Chef de cabinet de M. Ali Chaouch ministre du même département sous Ben Ali il y a une dizaine d'années. Et la lenteur dans les procédures de poursuite des assassins et tortionnaires avant et au cours de la révolution du 14 janvier 2011, et surtout la prudence jugée excessive à vouloir traduire en justice les malfaiteurs qui ont dilapidé les richesses nationales et qui se sont appropriés indûment une bonne partie du patrimoine public du fait de leurs alliances avec le dictateur et sa mafia. A cela s'ajoute une appréhension je dirai allergique, à confondre « l'autorité de l'Etat » et « l'excès de pouvoir » de l'exécutif. Ces reproches peuvent paraître bien légitimes mais ils posent des questions fondamentales quant à l'exercice même du pouvoir dans un Etat souverain. Si nous acceptons l'existence de l'Etat et la nécessité de sa continuité, on ne peut demander à un chef d'Etat dans un régime présidentiel ou un Premier ministre dans un régime parlementaire, de se croiser les bras et de ne pas gouverner ! A la limite la vocation d'un gouvernement c'est de gouverner et non d'observer et s'abstenir ! le « laisser-faire, laisser-aller » cher aux doctrines libérales ne peut être opérationnel que dans les sociétés, ou les développements politiques et économiques sont tels, qu'on a plutôt besoin d'un « moins d'Etat ». A ce sujet le sociologue et politiste français Roger-Gérard Schwartzemberg parle de sociétés qui vivent des situations de « sous-pouvoir », ce sont les démocraties libérales avancées, et de « sur-pouvoir », ce sont les pays en développement, où l'institutionnalisation est encore récente et non accomplie. C'est le cas de la Tunisie, de l'Egypte et de l'ensemble des pays arabes qui vivent une certaine fermentation révolutionnaire, devant conduire à la construction des institutions démocratiques et pluralistes. La réussite de la révolution et son accomplissement, sont confrontés à deux choix : Doit-on aller et… bien vite, vers le « sous-pouvoir » au risque de priver l'Etat de « l'autorité » indispensable pour accomplir sa vocation à gouverner ? Ou doit-on préserver certains « sur-pouvoirs » pour assurer la continuité de l'Etat, établir la sécurité et permettre une évolution paisible et pacifique vers la démocratie libérale, pluraliste, où les institutions sont autonomes et différenciées. A notre avis la Tunisie se doit de ne pas échouer dans cette œuvre historique et glorieuse qui consiste à transformer une révolution « pacifique » en une démocratie toute aussi « pacifique ». On ne peut pas exiger d'un Premier ministre de transition de ne pas changer son ministre de l'Intérieur pour « raison d'Etat » discrétionnaire. Mais dans ce cas, il en assume la pleine responsabilité s'il y a, des dépassements ou autres dérapages sécuritaires. Lui demander aussi d'accélérer les procédures judiciaires pour juger les criminels de l'ancien régime c'est lui demander une « justice » d'exception, même si elle relève de « l'exigence » révolutionnaire, et dans ce cas par qui commencer et où doit-on s'arrêter ! Les « justices « révolutionnaires » ont laissé beaucoup de mauvais souvenirs dans la mémoire historique de l'Humanité parce qu'elles ont abouti à des dénis de justices des erreurs tragiques et des exécutions sommaires. La passion, voire la revanche même non avouées, ne sont pas les bonnes amies de la vérité et de la Justice. Demandez à Robespierre pourquoi Danton, son compagnon, d'armes a été guillotiné ! Demandez à Staline pourquoi Trotsky a été assassiné ! Demandez à Khomeiny pourquoi Bakhtiar le Premier ministre de la révolution iranienne a été descendu dans son exil en Europe, et pourquoi Beni Sadr le premier président de la République Islamique iranienne a vécu plus de 30 ans en exil à Londres ! Finalement ces « déportés », « exilés » et « assassinés », ont trouvé plus de justice en Angleterre « ennemie » que dans leur propre pays et de la part des systèmes qu'ils ont en partie, enfantés ! La justice doit être sereine et sans concessions mais sans pression de qui que ce soit et ceux qui sont reconnus coupables de leurs actes criminels paieront tôt ou tard. Au lieu de pousser un gouvernement provisoire à intervenir dans la justice ce qui serait encore une fois lui porter atteinte par le non respect de son indépendance, il vaut mieux la mettre en marche en instruisant les dossiers, rassembler les preuves et engager les poursuites dans le respect des lois. Notre apprentissage de la démocratie passe par le respect de l'Etat de droit. La « lenteur » c'est une question d'appréciation ! Mme Ben Sedrine, que je respecte beaucoup pour la défense de la liberté, sa vie militante irréprochable et ses sacrifices, devrait s'en souvenir !... Une « justice extrême » pourrait faire bien des dégâts