L'Express a demandé à Pierre Vermeren qui connaît bien la réalité marocaine quelle forme pourrait prendre au Maroc l'onde de choc de la "révolution arabe". Le Maroc ne peut pas rester à l'écart de ce mouvement. Il fait partie, comme il le revendique d'ailleurs, du monde arabo-musulman et il est concerné au même titre que les autres pays du Maghreb, même si certaines de ses élites, qui rêvent de se brancher sur une autre histoire, feignent de croire le contraire. Par ailleurs, il y a une véritable conscience maghrébine, notamment relayée par les chaînes arabes, à commencer par Al-Jazira que les Marocains regardent beaucoup. Ce qui touche la Tunisie ou l'Algérie concerne forcément la population marocaine. C'est bien parce qu'ils savent cela que les dirigeants marocains s'efforcent depuis plusieurs semaines d'allumer des contre-feux en tenant aux Occidentaux un discours qui voudrait leur faire croire le contraire. Le fait même qu'il y ait cette communication autour de l'exception marocaine montre que les autorités sont préoccupées. On assiste dans le royaume au retour du débat sur la réforme constitutionnelle qui avait marqué le début du règne puis avait resurgi il y a deux ans. C'est un point clef parce que ce dossier a été maintenu à l'écart du train de réformes de ces dernières années.
Tensions sociales
Mais cette question concerne principalement les élites intellectuelles. Je ne crois pas que le peuple marocain s'y intéresse vraiment. Pour lui, la priorité est plutôt d'ordre économique et social. Or le Maroc n'échappe en rien à la situation de stress social engendré par la crise économique mondiale. A plusieurs reprises ces dernières années, des émeutes ont éclaté localement pour protester contre le chômage et la misère. Les autorités sentent bien qu'il y a là une situation explosive, d'où leur extrême prudence. Pour éviter de répercuter des hausses de prix qui seraient insupportables compte tenu des niveaux de revenu de la population, elles ont augmenté les subventions sur les produits de base. C'est sans doute une politique inévitable, mais cela coûte de plus en plus cher. Cela suffira-t-il ? Beaucoup dépendra de ce qui va se passer dans les autres pays, en Tunisie et en Egypte notamment. S'il y a un réel processus de démocratisation dans ces pays, et s'il se déroule sans violences, l'exemplarité aura un fort impact au Maroc, même différé dans le temps. Notamment sur la jeunesse éduquée et urbanisée issue des classes moyennes. Ce seront les grandes villes qui donneront le ton. A commencer par Casablanca, la capitale économique du royaume.