Par : Ridha KEFI Depuis le démantèlement, en août dernier, d'une organisation jihadiste appelée Ansar el-Mahdi comptant des militaires dans ses rangs, les forces de sécurité marocaines sont sur le pied de guerre et il ne se passe pas un mois sans que Rabat annonce le démantèlement d'une nouvelle cellule terroriste. L'ombre d'Al-Qaïda plane sur le Maroc, comme sur les autres pays du Maghreb. Dans la nuit de dimanche à lundi 12 mars, dans un cybercafé à Casablanca, un homme s'est tué en déclenchant des explosifs qu'il portait sous ses vêtements. Un autre, qui tentait de s'enfuir, a été arrêté. La police a trouvé sur lui des explosifs. Les deux hommes, qui s'apprêtaient à commettre un attentat terroriste dans la capitale économique du Maroc, étaient-ils venus dans ce cybercafé - situé dans le quartier de Sidi Moumen, celui des 13 kamikazes des attentats de Casablanca qui ont 45 morts, dont 12 kamikazes, et des dizaines de blessés, le 16 mai 2003 - recevoir leurs instructions sur quelque site Internet jihadiste. C'est la thèse la plus plausible que l'enquête de la police marocaine ne tardera pas à confirmer.
Les démantèlements de cellules jihadistes se multiplient Cet incident est survenu trois jours seulement après l'annonce, par la police marocaine, de l'arrestation d'un certain Saâd Houssaïni. Ce dernier, âgé de 38 ans, est présenté comme l'un des responsables des attentats de Casablanca. Il pourrait aussi être impliqué, indirectement, dans les attentats du 11 mars 2004 à Madrid, qui ont fait 191 morts. Longtemps recherché par la police marocaine, Houssaïni est l'un des cadres dirigeants du Groupe islamique combattant marocain (GICM), une organisation créée au début des années 1990 par d'anciens «djihadistes» marocains qui ont combattu aux côtés des talibans en Afghanistan. L'organisation est considérée par les services de renseignement occidentaux comme un bras armé d'Al-Qaïda en Europe et au Maghreb. Une semaine auparavant, c'est-à-dire le 2 mars, la Cour d'appel de Salé a condamné le Tunisien Mohamed Ben El Hadi Messahel, à 15 ans de prison ferme pour infractions pénales liées au terrorisme. Sept autres co-inculpés, tous Marocains, ont écopé de peines allant de 2 à 10 ans. Selon le procès-verbal de la police, Messahel, 37 ans, ancien employé dans un restaurant à Milan (Italie), était entré au Maroc en janvier 2006 à bord d'une voiture et aurait noué des contacts avec des personnes à Casablanca et à Salé, membres présumés d'une «mouvance intégriste, tous volontaires pour mener le Jihad en Irak». Celle-ci aurait des liens avec le Groupe salafiste algérien pour la prédication et le combat (GSPC, rebaptisé «Al-Qaïda au Maghreb Islamique»), mais aussi des ramifications en Europe. Le même jour, la même Chambre criminelle a condamné quatre autres inculpés pour terrorisme à des peines allant de 2 à 5 ans de prison ferme. L'examen de quatre autres affaires de terrorisme dans lesquelles 10 prévenus sont impliqués a été reporté par la Cour aux 30 mars, 2 avril et 11 mai. Au regard des terroristes islamistes, le Maroc présente trois faiblesses : - sa vocation touristique en fait une cible de choix pour qui cherche à atteindre des intérêts occidentaux ; - les poches de pauvreté qui persistent aux alentours des grandes villes constituent un terrain favorable pour le recrutement de nouveaux terroristes. Le recours à la violence est souvent considéré par les jeunes désoeuvrés des bidonvilles comme une «alternative à un statu quo, à une situation politique et économique qui crée un malaise au sein des populations», selon l'expression de Barah Mikaïl, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), dans une interview à ''www.afrik.com'', mise en ligne le 12 mars ; - les relations privilégiées qu'entretient Rabat avec les Etats-Unis et l'absence de position ferme face aux politiques israélienne et américaine dans la région, notamment en Irak et dans les territoires palestiniens, ne cessent d'alimenter la colère des jeunes, dont certains ne résistent pas aux sirènes du djihadisme ; - last but not least, les mauvaises relations entre le Maroc et l'Algérie empêchent les gouvernements des deux pays d'entreprendre des actions communes contre les groupes terroristes qui cherchent à créer des bases d'entraînement et d'opérations dans la large bande désertique qu'ils partagent sur des milliers de kilomètres et qui reste difficile à contrôler.
Le Sahel et le Sahara : ventre mou de la sécurité au Maghreb Dans une enquête publiée le 11 mars, à l'occasion de l'anniversaire des attentats terroristes du 11 mars 2004 à Madrid, le quotidien espagnol ''El Pais'' a estimé, à cet égard, que les pays du Sahel constituent le maillon faible de la chaîne face à l'extension de l'influence d'Al-Qaïda au Maghreb et dans les pays de l'Afrique subsaharienne. Cette opinion est partagée par les autorités marocaines. Dans une interview au même journal, le ministre de l'Intérieur marocain, M. Chakib Benmoussa, a indiqué que le GSPC, qui avait annoncé, le 11 septembre dernier, son ralliement à Al-Qaïda, tente de fédérer les divers groupes islamistes des pays du Maghreb et d'étendre ainsi son influence dans toute la région, à travers des opérations d'endoctrinement et de coordination opérationnelle. «Le changement de nom de cette organisation terroriste qui s'appelle maintenant Tandhim al-Qaida bi-Bilad al-Maghreb al-Islami, signifie qu'elle tente d'étendre son aire d'influence à toute la région. Elle veut recruter, former et coordonner les extrémistes du Maghreb. Pour préparer le chemin du regroupement, il a établi un fort lien idéologique avec Al-Qaïda», a-t-il dit. La menace terroriste plane aussi - et tout aussi fortement que sur les centres urbains - sur la région du Sahel, une zone qui, selon lui, «doit faire l'objet d'une surveillance spéciale». «Cela fait des années que le Maroc avertit sur les risques qui menacent la région sans susciter un grand intérêt de la part des pays occidentaux. Heureusement, les choses sont en train de changer. C'est la perception de ces risques qui a incité les Etats-Unis à s'impliquer premièrement avec l'initiative PanSahel et maintenant avec une autre initiative plus spécifique de lutte anti-terroriste», a ajouté le ministre. C'est d'ailleurs cette perception d'une menace terroriste - diffuse mais réelle - qui a poussé le ministre marocain de l'Intérieur à réunir d'urgence, le 11 février dernier, les patrons des services de sécurité (Sûreté nationale, DST, renseignements extérieurs) afin d'évaluer et de renforcer les mesures destinées à faire échec à toute attaque terroriste dans le royaume chérifien. Selon des sources sécuritaires marocaines, citée par ''Le Figaro'' du 13 mars, un proche de Zawahiri se serait rendu il y a quelques mois au Maroc pour coordonner les activités des nouvelles recrues locales du terrorisme. L'émissaire d'Al-Qaïda disposait d'un passeport thaïlandais et se faisait passer pour antiquaire. Les accusations contre le Polisario sont-elles fondées ? Les autorités marocaines vont plus loin en affirmant qu'Al-Qaïda tente également de déstabiliser le royaume chérifien en coopérant avec le Front Polisario qui dispute au Maroc la souveraineté sur le Sahara occidental. Selon le ministre marocain de la Justice, Mohammed Bouzoubaâ, cette coopération, «corroborée par des rapports de services de renseignements internationaux», s'effectuerait par l'entremise du GSPC algérien et de la Salafia Djihadia marocaine. «Le Polisario tient l'ennemi de l'ennemi pour ami. Et puisqu'il fait du commerce avec l'aide internationale qui lui est fournie par la Croix-Rouge, on imagine qu'il pourrait également faire commerce de ses armes qui ne sont soumises à aucun contrôle», a déclaré le ministre. Ce sont là, on l'a compris, de simples hypothèses que le gouvernement de Rabat agite dans l'espoir de brouiller l'image du Front Polisario au regard de la communauté internationale, à quelques semaines de l'annonce, aux Nations unies, de son nouveau plan d'autonomie pour le Sahara occidental. A moins que des preuves d'une coopération entre Al-Qaïda au Maghreb et le Front Polisario ne seraient bientôt découvertes et rendues publiques... Ce qui nous semble très peu probable : le Front Polisario n'a aucun intérêt à s'aliéner le gouvernement algérien, qui est son principal soutien face au Maroc, en commettant l'erreur de se rapprocher du GSPC ou de toute autre organisation en guerre contre le pouvoir à Alger.
*** La nébuleuse jihadiste marocaine Après la mort d'Abdelkrim Medjati, dirigeant du GICM abattu au printemps 2005 au cours d'une opération antiterroriste des forces spéciales saoudiennes dans la banlieue de Riyad et l'arrestation, la semaine dernière, de Saâd Houssaïni, les forces de sécurité marocaines sont à la recherche de deux autres dangereux activistes. Il s'agit de Aziz Chekani, alias Youssef, et Abdelali Chaïri, alias Béchir, qui assurent la liaison entre Al-Qaïda au Maghreb et les cellules jihadistes actives dans le royaume. Deux avis de recherche les concernant, reproduisant leurs photos les plus récentes, ont été publiées par les journaux locaux. Parmi les autres leaders salafistes jugés dangereux, on cite Miloudi Zakariya, leader du groupe Al-Sirat Al-Mustaqim (Voie de la Vertu), qui a fait parler d'elle pour la première fois en décembre 2002. On cite aussi Youssef Fikri, âgé d'un peu plus de vingt ans, qui dirige un groupe appelé Al-Hija Wa-Takfir (Exil et Excommunication). Autres leaders de la mouvance salafiste souvent cités par les journaux marocains: Hassan Al-Kinani, Abdelwaheb Rafiqi, surnommé Abou Hafs, Ahmed Rafiqi, surnommé Abou Houdhaifa, un ancien de l'Afghanistan. Selon CNN, Abou Hafs a annoncé son appui total aux attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis et affirmé son soutien à Ben Laden dans nombre de ses prêches à la mosquée. Le chef d'Al-Qaïda serait, selon ses termes, «un chef d'Al-Qaïda, un héros musulman et le porteur de l'étendard de l'islam et des musulmans». Autre leader du mouvement salafiste marocain qui a souvent eu les honneurs de la chaîne qatarie Al-Jazira, en participant notamment à certaines de ses talk shows : cheikh Mohamed Al-Fazzazi, alias Abou Mariam. Cet universitaire de 54 ans, détenteur d'un doctorat de philosophie, a longtemps «sévi» comme prédicateur dans les mosquées de Fès et Tanger et comme théoricien et défenseur de la salafia jihadia, une idéologie prônant la violence contre les non-musulmans et les musulmans qui s'éloigent de la voie de Dieu. Même si Al-Fazzazi n'a pas trempé directement dans la planification ou l'exécution d'actes terroristes, ses idées ont beaucoup influencé les kamikazes qui ont perpétré les attentats de Casablanca. Mais cela ne suffit pas pour l'accuser lui-même de terrorisme.