Par : Hechmi GHACHEM - Sur la colline qui appartenait à ma grand-mère et que je n'ai pas connue, là bas.. tout là bas derrière les superbes blindés conquistadors, il y a sûrement un dernier chardonneret en pleurs. Je ne l'ai pas vu, maman, mais grand-mère m'en a parlé. Elle m'a dit que le chant de ces oiseaux faisait éclore les fleurs des orangers et qu'ils ne chantent que la nuit des noces des filles qui n'auront pour mari que la tristesse des vagues. Maman, ne pleure pas : Pousse –au moins- un seul you-you et sors tous les vêtements et bijoux de mon trousseau. Ce soir, je me marie à la plus belle des tristesses. Maman,ce soir, j'explose. Voilà mes longs cheveux, fierté de mes ancêtres. Dans le panier en soie, il y a le peigne en ivoire que mon grand -père a ramené d'Afrique. Peigne-les et noues-les en nattes éphémères. Aucun jeune n'aura à les dénouer. Je n'aurai pour mari que la tristesse des vagues. Ne t'inquiète pas, maman, ce soir j'explose. Voilà les anges, les enfants et les troubadours qui envahissent notre vieille maison en ruines. Offre-leur des fleurs et des gâteaux et offre aux jeunes filles du village toutes les robes, toutes les belles chaussures vernies et les mouchoirs et les éventails importés de Chine et garde pour toi ce collier en pauvres pierres précieuses que grand- père a ramené de la Mecque. Je ne le mettrais jamais autour de mon cou et aucun jeune homme n'aura à l'ouvrir. Ma nuque –comme mes mains- demeureront immaculées. Prends-moi dans tes bras, une dernière fois. Serre-moi fort contre ta poitrine et ne pleure pas, maman, ce soir j'explose. Me voilà, parmi ceux qui ne m'ont jamais connue… Ceux qui ont envahi la maison de grand-père. Mes reins ont la mort qui les cajole. Je regarde ceux qui vont partir… Ceux qui vont m'accompagner dans mon ultime exil. J'ai une dernière pensée pour le chardonneret qui ne chante que par les nuits de noces des filles qui n'auront pour mari que la tristesse des vagues. J'appuie sur le bouton. Ça y est, je suis mariée ! Pousse un dernier you-you mam ! Oh quel douceur… maman, j'explose !