On ne peut pas dire que la poésie tunisienne des cinquante dernières années soit un exemple d'optimisme et joie de vivre. Loin de là ! Ses thèmes basiques puisent leurs racines dans l'absolu dénuement, l'affreuse misère, le surplus d'échecs, le marché aux puces des lamentations, le supermarché des revendications primitives de reconnaissance que personne ne pourra reconnaître parce qu'elles s'adressent à des autorités, des pouvoirs qu'ils les ignorent. Que ces pouvoirs soient étrangers ou nationaux. Le poète y pleure le fait d'être séparé de sa maman, de son désert natal, de son petit village en haut de la montagne, il y pleure l'aimée du cœur qui ne l'a jamais regardé, qui ne s'est jamais souciée de son existence, qui est soit disant partie pour d'autres aventures en le laissant à ses tourments comme si le fait de l'aimer lui donnait des droits sur son comportement.
Il y pleure la ville qui ne veut pas de lui, la richesse dont il n'ose pas rêver, l'élégance qui lui fait défaut, le civisme méprisant et méprisable des citadins qui le subissent au lieu de l'accueillir.
Il y pleure l'arrogance de l'Occident, l'impunité de l'Etat Juif, l'écrasement de toute révolte populaire, la situation terrifiante des Palestiniens, la sécheresse de l'imaginaire arabe, la claustration des masses arabes dans le silence et dans l'oubli, la destruction de Bagdad, la perte de l'Andalousie, l'absence d'avenir, l'absence de flammes de vie, l'absence de savoir, l'absence d'amitié avec les autres peuples.
Il y pleure l'hiver parce qu'il y fait trop froid, le printemps parce qu'il y a des roses, l'été parce qu'il y fait trop chaud, et qu'il ne peut aller à la plage, l'automne parce qu'il y pleut. Il pleure même pendant la cinquième saison parce qu'il ne sait faire rien d'autre que pleurer et que son existence ne peut donner naissance à rien d'autre que des larmes.. des grosses larmes de plomb. Des longs sanglots rauques et étouffés.
Il y pleure parce qu'il n'a pas le droit de crier, pas le droit de vivre, de mourir dignement.
Il pleure parce que l'administration ne le reconnaît pas. La loi ne le reconnaît pas. La rue ne le reconnaît pas. C'est à peine s'il se reconnaît lui-même.
Après avoir rêvé qu'il allait emporter tout sur son passage, révolutionnariser les données, chevaucher le beau cheval blanc du mérite culturel, le voilà obligé de ramper, telle un limace, pour subvenir aux tout petits besoins de sa quotidienneté, pour continuer à se chausser bas-de-gamme, s'habiller bas-de-gamme et vieillir bas de gamme. Avec les yeux globuleux du perdant, la langue reiche et sans charme des perdants, la solitude obscène des tout petits perdants.
La poésie tunisienne des cinquante dernières années est loin d'être un exemple de joie de vivre.
Elle ne fait que pleurer... à longueur de nuit, à longueur de journée.
Elle ne nous ressemble pas. Car nous ne pleurons jamais ... à moins que ce ne soit en silence au fin fond d'un désert lointain... inconnu... un désert en pointille...