Plus que quelques jours nous séparent des élections chez les avocats prévues pour le 1er juillet prochain. Certains avocats pensent que la situation actuelle est grave et seules des réformes de fond peuvent changer les conditions de travail et l'exercice du métier dans un cadre de transparence. A cet effet, nous avons déjà entamé une série d'interviews sur les colonnes de notre journal, notre invité aujourd'hui est Me Abdessatar Ben Moussa, le bâtonnier actuel. Après trois ans, Me Ben Moussa a décidé de ne pas renouveler sa candidature pensant que c'est plus démocrate de laisser la place à quelqu'un d'autre.
Le Temps : Comment évaluez vous la situation actuelle des avocats ? et comment voyez vous les remèdes ?
Me Abdessatar Ben Moussa : La profession va mal pour plusieurs raisons : lenteur, manque de transparence, manque de cadres et de personnel, manque de moyens.. Tous ces facteurs accablent bien évidemment le barreau à tel point que les droits de la défense sont souvent bafoués. A citer un exemple : le problème que rencontrent les avocats lors de la visite de leurs clients dans les prisons. La situation matérielle ne cesse de se dégrader à cause de plusieurs facteurs essentiellement la restriction du champ d'action des avocats qui rétrécit comme une peau de chagrin. Une grande partie des avocats n'arrivent plus à subvenir à leurs besoins les plus élémentaires et à s'acquitter des dépenses nécessaires tel que le paiement des loyers. Les statistiques dont disposent l'Ordre à ce propos sont alarmantes. Les conditions de travail des avocats sont de plus en plus difficiles. Les procédures judiciaires ne sont pas souvent respectées. Même chose pour les circulaires à tel point que l'avocat peine quotidiennement. Tout ceci nécessite une réforme radicale qui reconnaisse au barreau sa véritable place en tant qu'organe constitutionnel et reconnaisse à la défense sa légitimité en tant que condition primordiale à toute justice équitable. Cette réforme ne pourra se faire que s'il y a une volonté réelle et une conscience des avocats quant à leur solidarité et quant à la sauvegarde de la confraternité. Cette réforme consiste à élargir le domaine d'action des avocats dans tous les domaines (consultation, rédaction des contrats, défense et plaidoirie ). A titre d'exemple, il convient d'obliger les sociétés commerciales à partir d'un capital déterminé d'avoir un avocat conseil à l'image des experts comptables. Il s'agit également d'améliorer les conditions de travail des avocats et de leur garantir une certaine immunité à l'instar de leurs confrères partout dans le monde que ce soit par l'élimination de l'article 46 de la loi actuelle concernant les délits d'audience et aussi protéger les avocats pendant l'exercice de leur fonction des atteintes dont ils font l'objet. Par exemple dans le droit égyptien toute atteinte à un avocat dans les tribunaux est similaire à l'atteinte portée à un juge et si l'atteinte est commise dans la salle d'audience, elle est similaire à l'atteinte portée à la Cour. Alors que chez nous l'atteinte à un avocat même dans une salle d'audience est traitée comme une atteinte à un simple citoyen. La réforme consiste aussi à résoudre le problème de la couverture sociale en se basant sur les projets présentés par le Conseil et il faut amender la loi en instituant le Corps des barreaux. Cette loi a marginalisé le rôle de l'avocat dans la direction de l'Institut supérieur et dans la formation des avocats. Cette loi a fait de l'institut un établissement public à caractère administratif unique et dans son genre puisque la plupart des écoles de barreaux sont sous forme d'utilité publique.
Comment évaluez vous le bilan de votre mandat ? Comme pour toute personne, il y'a du positif et il y'a du négatif. J'ai travaillé et qui travaille commet des fautes. Je n'ai pas profité et la tentation était tellement facile. J'ai essayé d'être le bâtonnier de tous les avocats et je le suis jusqu'au 30 juin. J'espère que le prochain bâtonnier œuvrera dans ce sens, sauvegardera notre indépendance et aura plus de chances. Je serais aussi à la disposition du prochain bâtonnier et de toutes les structures tant qu'ils resteront garants des principes essentiels du métier d'avocat.
Pourquoi n'avez-vous pas renouvelé votre candidature ? Comme je suis pour la transparence, je suis aussi pour l'alternance. Je ne crois pas aux personnes, je crois aux institutions. Et comme l'a dit Nelson Mandela « nul n'est indispensable ». Ce que je peux faire les autres pourront le faire. Les exemples dans l'occident montrent bien qu'il y a alternance du bâtonnier et chacun essaie de mieux faire.
D'après vous qu'est ce qui vous a empêché de réussir ? Je n'ai pas échoué. Mais c'est vrai qu'il y'avait certaines contraintes comme les difficultés à résoudre radicalement le problème de notre métier. Il y'a aussi le manque de conscience chez certains et le manque de militantisme chez d'autres.
Comment voyez vous le profil du bâtonnier ? Le bâtonnier doit être indépendant, démocrate, militant et courageux. En pratique il doit être le bâtonnier de tous les avocats. Le bâtonnier c'est quelqu'un qui travaille avec âme et conscience et doit rester pour un seul mandat.
Pensez vous que ce profil existe chez l'un des candidats au bâtonnat ? Les discours et la phraséologie ne sont pas des indices suffisants pour évaluer un bâtonnier. Seules la pratique et l'expérience nous permettront de juger le bâtonnier de l'Ordre après coup.
Quel avenir pour les jeunes avocats ? La situation des jeunes avocats est alarmante. Il faut bien repenser à leur situation. Il convient d'instaurer des réformes radicales qui permettent de repenser à l'exercice effectif de la formation et à l'encadrement. Il est impératif d'améliorer leur condition matérielle et morale.
Etes vous optimiste pour la période à venir ? On ne peut qu'être optimiste.