• 285 sociétés ; une valeur de 5000 MDT et 3000 MDT d'engagements ; 15000 emplois directs menacés • Les administrateurs judiciaires entre le marteau et l'enclume • Appel à un amendement du décret-loi du 14 mars 2011 sur la confiscation des avoirs de Ben Ali et ceux des Trabelsi • La commission de confiscation devrait présenter demain le premier rapport, mais… • Bientôt une deuxième commission de confiscation (sous forme de holding) présidée par Jalloul Ayed Les avoirs meubles et immeubles gelés à l'intérieur et à l'étranger et acquis illégalement à l'ex-famille royale retiennent sans cesse l'attention. Tout le monde attend avec impatience la restitution de cette fortune, de cette richesse bâtie frauduleusement à l'aide de moyens louches et suspects. Certains s'interrogent même sur le retard des procédures de confiscation et sur le silence étonnant de la commission de confiscation. Jusqu'à présent beaucoup a été dit mais rien n'a été fait. Et entre temps, la pérennité des entreprises gelées et le devenir de 15.000 emplois directs sont confrontés aux aléas conjoncturels et menacés de péril. La gestion de ces entités devient un calvaire pour les administrateurs judiciaires, surtout que l'environnement externe de ces entreprises (banques, fournisseurs….), les considère comme des sociétés envenimées et une calamité dont il faudrait se débarrasser sinon se prémunir. Pour établir l'état des lieux du processus de confiscation des biens meubles et immeubles de la famille Ben Ali et ses alliés et sur les contraintes de gestion des entités actuellement « managées » par les administrateurs judiciaires, l'ordre des experts comptables de Tunisie a organisé avant-hier une conférence d'informations sur le sujet. Un thème qui tient à cœur à tous les Tunisiens. Deux problématiques valent bien que l'on s'y arrête : Comment préserver la survie des entreprises dont les avoirs ont été gelés ? et comment hâter les procédures de confiscation afin que tout le monde puisse voir plus clair ? Sur le plan juridique, un décret-loi n°13 du 14/03/2011 sur la confiscation des biens meubles et immeubles de la famille Ben Ali a été promulgué. Une loi qui suscite d'ores et déjà la polémique, notamment en ce qui concerne ses vices de forme. Salah Dhibi, expert comptable a affirmé que sur 350 entreprises, 285 entreprises ont été répertoriées et les avoirs de 114 personnes ont été gelés au sens d'une liste provisoire. « Ces entreprises touchent à tous les secteurs phares de l'économie nationale, la valeur de ces entreprises est estimée à 5000 MDT et un total engagement de 3000 MDT, elles génèrent 15000 emplois directs et un total de 100000 emplois directs et indirects », affirme Salah Dhibi. Pour la restitution de l'argent volé, du moins à l'intérieur du pays, deux voies ont été empruntées par le gouvernement provisoire. La première concerne le gel des avoirs des 114 personnes de la famille déchue, et c'est une procédure qui permet la préservation des acquis. La seconde procédure est celle aboutissant à la confiscation proprement dite des avoirs, et il s'agit dans ce cas d'une mesure répressive. Actuellement nous sommes dans la première phase du processus, entre autres celui du gel des avoirs. Des administrateurs judiciaires et des séquestres judiciaires ont été désignés à la tête de chaque entreprise dont l'objectif est de préserver leur bonne marche, de conserver les emplois et d'assurer la gestion courante de ces entreprises. « Les administrateurs judiciaires doivent arrêter un état détaillé de l'actif et du passif de chaque entreprise et les déclarer dans les plus brefs délais. La date du 18 juin est le « deadline » ou la date butoir fixée par la commission de confiscation », souligne M.Dhibi La confiscation intervient dans une deuxième étape. Les avoirs confisqués seront transférés à la propriété de l'Etat tout en préservant les droits des créanciers. « Une deuxième commission de confiscation présidée par Jalloul Ayed, ministre des Finances sera créée dans les jours qui viennent. Deux scénarios sont à envisager : soit que la commission en question, prenne en charge toutes les propriétés et les avoirs confisqués pour ensuite les regrouper sous forme de « holding », ou bien que l'on décide de la privatisation de ces entités », annonce Salah Dhibi. Une commission indépendante de l'Etat Anis Wahabi, expert-comptable a présenté quelques suggestions à même d'accélérer la restitution des avoirs gelés. On citera notamment : la création d'une commission de gestion qui sera chargée de la restructuration des entreprises et des participations confisquées, à la condition que cette commission soit indépendante du gouvernement ; accélérer la mise en place d'un programme complet pour la gestion et la restructuration des entreprises au cas par cas afin d'assurer leur pérennité et la préservation des droits et acquis des employés et des créanciers ; mettre en place un plan pour prospecter les participations qui n'ont pas fait l'objet de confiscation, pour le suivi des opérations financières dans la Bourse de Tunis et pour prospecter d'éventuelles opérations de transmission à des « entreprises écrans » et voir l'opportunité d'insérer les entreprises ayant une bonne et saine assise financière en Bourse. Telles sont les recommandations présentées par l'Ordre des Experts de Tunisie pour toute suite utile. Par ailleurs et pour ce qui est des avoirs gelés à l'étranger, Kamel Ayari Juge, affirme que la situation n'est pas encore posée. « Toutefois actuellement, il faut s'arrêter sur les difficultés des entreprises appartenant au clan Ben Ali et dépasser le détail d'élargissement de la liste des 114 personnes dénoncées…le plus important c'est la gestion des sociétés, dans un mois plusieurs d'entre elles pourraient disparaître», affirme le Juge en appelant à un amendement de la loi promulguée sur la confiscation. Une loi qui laisse la liste ouverte. Et d'ajouter : « Du point de vue investissement, la situation est critique…la plupart des investisseurs craignent de figurer sur la liste, les bailleurs de fonds étrangers rechignent au financement des sociétés confisquées, même les banques ne veulent plus coopérer ». Kamel Ayari a exhorté l'Etat à agir immédiatement pour éviter le pire surtout que dans certains cas l'administrateur judiciaire est absent. « Après tout l'Etat est maintenant associé dans ces entreprises et je pense que les administrateurs judiciaires n'ont plus le droit d'être. Qu'attend le gouvernement provisoire pour recenser les biens immobiliers qui étaient propriété des particuliers » Séparer entre les bien meubles et les biens immeubles Dans ce même ordre d'idées, Maher Kallel appelle également à l'amendement du décret-loi de manière à séparer entre les biens meubles et les biens immeubles. « Il faut réécrire le décret pour éviter l'effet de chaîne». Les banques et les entreprises sont actuellement en instance de rupture et les fournisseurs des entreprises confisquées réclament leurs créances. Maher Kallel a évoqué le cas de la Banque Zitouna, où le flou et la confusion caractérisent l'activité de la banque et même l'Etat a retiré son argentde cette même banque après la Révolution qui, paradoxalement elle, revient maintenant à l'Etat. Conclusion, et pour éviter la boule de neige, le gouvernement provisoire doit trancher et décider des mesures à même de préserver la pérennité de ces entreprises et des emplois. Les entreprises qui sont l'ex-propriété du clan Ben Ali, sont actuellement pointées du doigt et considérées comme une épidémie mortelle à craindre absolument. Banques et partenaires étrangers ne bougent pas et craignent toute intrusion en l'absence de visibilité dans l'avenir. Yosr GUERFEL AKKARI
Le calvaire des administrateurs judiciaires Pour le moment et quel que soit le sort des entreprises en cours de confiscation, ce qui compte aujourd'hui c'est la survie même de ces entités productives. Certaines d'entre elles sont au bout du gouffre et risquent de mettre les clés sous le paillasson. La gestion même de ces entreprises devient ingérable. D'ailleurs, certains administrateurs judiciaires crient leur désappointement et clament leur incapacité à poursuivre dans de pareilles conditions la gestion de ces entreprises. Selon le témoignage de quelques administrateurs judiciaires participant aux travaux de la conférence, les administrateurs judiciaires sont aujourd'hui entre le marteau et l'enclume. Ils déplorent le problème de financement bancaire et le désistement des institutions bancaires à coopérer, pourtant le partenaire est l'Etat tunisien. Un administrateur judiciaire s'est interrogé sur la manière dont on va gérer la société quand les avoirs et les biens meubles et immeubles seront dans une deuxième étape confisqués par l'Etat et transférés au trésor public. « Dans la mesure où la révolution est une première dans l'histoire de la Tunisie, les solutions ne peuvent être que spéciales et spécifiques », affirme un administrateur. D'autres administrateurs, déplorent les conditions dans lesquelles ils opèrent. Ils n'ont pas de vis-à vis dans les sociétés à la tête desquelles ils ont été désignés. Ils n'ont pas été épargnés de la fameuse formule « Dégage ». Les administrateurs judiciaires demandent au final la préservation de leurs droits, la protection de « leurs arrières » mais aussi la mise en place des conditions adéquates à même d'assurer la bonne gestion des entreprises en question de manière à conforter aussi bien les fournisseurs, les banques que les employés. YGA
Jean Ziegler: " L'audit de la dette tunisienne et la restitution des fonds plutôt que le recours aux emprunts extérieurs" "L'audit de la dette odieuse contractée sous l'ancien régime et la restitution des fonds illicites transférés dans des banques à l'étranger, sont de meilleures solutions pour la baisse de la dette tunisienne et le financement du plan de développement décidé par le Gouvernement provisoire que d'avoir recours aux emprunts extérieurs", a fait remarquer, hier, le membre du comité consultatif du conseil des droits de l'Homme des Nations Unies, Jean Ziegler. Le responsable onusien, s'exprimait à Gammarth lors de la séance d'ouverture de la 14ème université d'été sur le thème "Quelle politique sociale pour un pays en transition démocratique? Cas de la Tunisie». Il a ajouté que la Tunisie pourrait récupérer ses avoirs si la pression est assez forte sur les banques suisses et autres. Par ailleurs, Ziegler a exprimé sa préoccupation de voir les pays maghrébins "se dépêcher "pour la signature d'accords de libre échange avec l'Union Européenne. Des accords qui, a-t-il dit «favorisent le néocolonialisme malgré leurs avantages". Ziegler a, en revanche, souligné l'importance qu'il y a d'œuvrer au renforcement de l'intégration économique maghrébine. Pour sa part, Hatem Bacha, président de l'Association des responsables de formation et de gestion humaine dans les entreprises (ARFORGHE), a noté que la transition démocratique est tributaire du renforcement du climat de sécurité et de stabilité dans le pays. «Les mouvements de protestation risquent de se prolonger en l'absence d'un rôle modérateur de l'Etat et de l'établissement d'un consensus social» a-t-il prévenu. De son côté, Mahmoud Ben Romdhane, universitaire économiste, a proposé l'organisation d'un débat démocratique sur les grandes questions nationales, dont notamment, le budget de l'Etat.