Que du noir chez Mohamed Yacoubi, notre Soulage tunisien. Il est passé par plusieurs étapes dans le domaine pictural mais il reste attaché à cette valeur -le noir- qu'il explique par des souvenirs d'enfance. Un jour, son père le fait descendre avec lui dans un puits ? C'est sa première rencontre avec l'obscurité. Une obscurité tâchée d'une fine lumière. Sa mère aussi l'a mis au contact de l'obscurité de la « tabouna » (four traditionnel) lorsqu'elle faisait du pain. C'est ainsi qu'il s'est imprégné du noir. Mais avant de s'adonner à la peinture et de consacrer l'essentiel de sa carrière, il a été ingénieur-chercheur dans le secteur agricole. Actuellement, dans sa galerie Astrolabe, sise au Bardo, il accueille du 7 au 30 juillet, une exposition de groupe de trois peintres : Khaled Turki, Khaled Lasram et Jamel Aissi de la même génération que lui autour de la thématique : « Signes et symboles ». Le Temps : Qu'est-ce qui réunit les trois peintres qui exposent actuellement leurs œuvres dans votre galerie et quelles sont les caractéristiques de leur peinture ? Mohamed Yacoubi : Ce sont trois peintres confirmés de ma génération. Ils ont chacun au minimum trente années d'expérience dans la peinture. Ce qui me plait chez Khaled Turki, qui a quarante ans dans le domaine, c'est sa persévérance et sa détermination. Il est dans une quête perpétuelle de nouveauté. Il est passé par toutes les écoles artistiques, du figuratif à l'abstrait. Chez Khaled Lasram, c'est la géométrie qui prime. Il s'inspire notamment de Mondrian. Il utilise comme lui les lignes horizontales et verticales avec la résultante, cette valeur ajoutée qui donne une force à sa toile. C'est un bon coloriste. Dans ses œuvres, la perspective est réalisée à partir des couleurs. Les chaudes avancent et les froides reculent. Jamel Aissi, a, à son actif, trente ans d'expérience. Il a beaucoup vécu en France. L'œuvre qu'il présente dans cette exposition est inspirée des contrats de mariage d'autrefois en utilisant la calligraphie et les signes. C'est assez magique. *Pourquoi ne trouve-t-on pas vos œuvres exposées au côté de celles de ces artistes pour lesquels vous avez de la considération ? -Je respecte les démarches de mes amis mais nous n'avons pas les mêmes orientations. Je me suis intéressé aux signes, il y a vingt ans. J'ai débuté par le graphisme, les signes et la calligraphie. Puis, je me suis dirigé vers l'abstraction de l'abstrait en choisissant de travailler sur deux valeurs le noir et le blanc. L'abstraction, c'est celle des couleurs. J'ai opté pour le noir particulièrement. Il y a Soulage bien sûr qui est une grande référence, mais avant lui les Chinois, les musulmans dont le drapeau est en noir et blanc. Au niveau métaphysique, le noir est la rencontre de la vie et de la mort. Je considère que les couleurs masquent la réalité. Nous voyons le monde à travers la chambre noire de notre œil. L'abstraction est pour moi une vision du monde et même de la croyance religieuse. Nous croyons en un Dieu abstrait. *De quelle manière vous intervenez pour obtenir cette valeur noire ? -Je fais du noir sur noir. Il existe des degrés dans le noir. Le fond noir est le support de mes idées, puis il y a le blanc du mur que je traverse à travers la toile. C'est le mur qui supporte la toile et la toile supporte mes idées. J'utilise le fil, qui chez les anciens peintres le cachaient ou le teintaient. En ce qui me concerne, je mets en valeur le fil qui fait partie de l'expression du tableau. *Peut-on dire que votre peinture est spirituelle ? -Je pense que c'est un point de rencontre entre l'esthétique et le métaphysique. Le rationnel et l'irrationnel. Le rationnel est la pensée, le logos, la réflexion philosophique. L'irrationnel est l'inspiration, l'intuition. L'art est engagement ou pas. Pour ma part, je n'ai pas cherché l'engagement, c'est lui qui m'a cherché. Il n'y a pas de différence entre l'être que je représente et le paraître qui sont mes œuvres. *Quelle est la place qu'occupe votre œuvre dans le paysage pictural tunisien ? -Ma peinture est singulière. Elle a même dérangé mes amis. Je refuse les sentiers battus parce que je suis un scientifique peut-être. Notre paysage artistique est riche en expériences picturales qui sont autant d'aventures dont mon œuvre s'inscrit en ajoutant un édifice à l'ensemble. Propos recueillis par Inès Ben Youssef.