Un avant goût? La mise en scène d'une crise interne par Ennahdha Dans la crise libyenne, l'Occident n'a guère été neutre. Les armées de l'OTAN ont appliqué, à leur manière, la résolution de l'ONU sur la protection des civils en Libye. Il ne fait aucun doute que leurs opérations répondaient à des objectifs fixés d'avance et de concert par les pays qui dirigeaient l'action militaire dans ce pays voisin. Aujourd'hui que le régime de Kadhafi est tombé, les grandes puissances commencent à préparer sa succession. Et à ce niveau, elles veulent s'assurer que les « libérateurs » de la Libye n'instaureront pas un pouvoir fondamentaliste à l'iranienne ou à la talibane. Sur certaines chaînes de télévision européennes, on invite quasi quotidiennement les experts dans les questions islamistes au Maghreb et en Orient pour les interroger sur la véritable identité politique des rebelles qui ont conduit à la chute de Mouammar Kadhafi. On cherche à savoir s'ils ont (encore ?) des liens étroits avec la Qaïda et à mesurer les risques de voir s'installer une dictature intégriste dans le pourtour méditerranéen. Ce qui ressort des analyses que nous avons suivies, c'est que l'Occident est à présent rassuré quant à l'impossibilité d'une telle éventualité. Là bas, ils ont étudié minutieusement les dossiers de chaque chef de la rébellion en Libye et depuis le début des attaques militaires contre la Libye, ils ont tout fait pour « purifier » la rébellion libyenne de ses éléments à risque. Après le départ de Kadhafi, leur « tri » continuera à sélectionner les nouveaux maîtres en Libye. N'est pas à exclure non plus, le scénario irakien conduisant au partage du territoire en grandes zones de pouvoir (deux, trois ou quatre, qui sait ?) pour récompenser les principaux chefs « révolutionnaires ». En tout cas, l'Occident se sent aujourd'hui obligé de traiter avec cette nouvelle composante assez forte que sont les Islamistes. Ceux qu'il avait naguère choisi d'exclure et d'inscrire sur ses listes noires figurent aujourd'hui parmi ses interlocuteurs virtuels. Cela s'inscrit dans une nouvelle stratégie de récupération des mouvements intégristes en terre d'Islam: mais il s'agit de négocier avec les ailes et les éléments dits modérés de ces mouvements. La leçon du 11 septembre 2001 a été retenue. Il va sûrement se passer la même chose en Libye. Et également en Tunisie, si le rapport des forces après les élections d'octobre prochain est en faveur des Nahdhaouis. Nuances futures Ce que le mouvement d'Ennahdha vit ces derniers jours comme prétendue crise interne ressemble plus à une mise en scène qu'à autre chose. La démission (quelque peu forcée) d'Abdelfatteh Mourou au profit d'un groupe dit indépendant et la mise à l'écart déguisée de Rached Ghannouchi visent d'abord à donner l'impression que le parti islamiste tunisien le plus populaire et qui se présente en favori aux élections de la Constituante se rajeunit et se renouvelle; d'autre part qu'il est capable de se remettre en question et de favoriser la direction collégiale en son sein. C'est à notre avis une opération de séduction savamment préparée qui intervient à moins de deux mois du vote d'octobre. Après les actes vandales et rétrogrades commis à divers endroits du pays par une minorité d'extrémistes religieux apparentés à des mouvances proches et alliées d'Ennahdha, l'heure est venue pour nos islamistes de jouer la carte de la modération. Quitte à se désolidariser de leurs principales figures emblématiques. Du temps du Parti Socialiste Destourien, on aurait pu provoquer un changement similaire en remplaçant Bourguiba, son chef incontesté mais vieillissant, par un membre plus jeune et plus démocrate. Cela aurait séduit l'Occident lequel n'aurait pas favorisé l'avènement de Ben Ali en 1987. Certains observateurs interprètent autrement le départ de Mourou et les remous à l'intérieur d'Ennahdha : ils y voient un début de crise réelle qui peut affaiblir les rangs de ce mouvement et, en provoquant des discordes successives, réduire ses chances de victoire aux prochaines élections. Une chose est certaine, en tout cas, en ce qui concerne les puissances occidentales qui suivent avec beaucoup d'intérêt (dans les deux sens du mot) la situation postrévolutionnaire en Tunisie : elles envisagent toutes les éventualités et, sachant le poids incontestable du parti Ennahdha, elles se préparent à l'hypothèse de le voir prendre le pouvoir chez nous. Seulement, elles mettront tout en œuvre pour que les Nahdhaouis qui dirigeront la Tunisie soient de leur côté et se proclament comme leurs alliés. C'est dire qu'en définitive, avec ou sans intervention militaire, l'Occident finira par décider de l'avenir de la Tunisie qu'on voulait nouvelle. Toute « nouveauté » doit hélas recevoir l'aval des maîtres de ce monde lorsqu'elle n'est pas leur propre œuvre comme c'est le cas en Libye. Les peuples sont-ils capables de déjouer leurs plans à l'heure de la transition démocratique ? A notre avis, est trop optimiste, voire trop naïf, celui qui ne croit pas à la manipulation des peuples. En Tunisie, si la victoire d'Ennahdha s'avérera inéluctable aux élections de la Constituante, ce sera un parti islamiste « revu et corrigé » par l'Occident qui prendra le pouvoir. Et tout au long de son règne, on fera en sorte qu'il réponde encore mieux au profil rêvé par les grandes puissances. On mettra la pression nécessaire sur les nouveaux dirigeants pour amollir le plus possible leurs positions et pour mieux les domestiquer. Nous serions alors gouvernés non pas vraiment par des islamistes « occidentalisés » mais par des islamistes à la solde de l'Occident ! Nuance de taille, hélas ! Badreddine BEN HENDA daassi [email protected] sudoi [email protected] daassi [email protected] daassi [email protected] amad salem [email protected]