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La Tunisie à travers la presse internationale
Publié dans Le Temps le 28 - 10 - 2011

"El Watan" - Depuis que le parti tunisien Ennahda est confirmé dans son statut de première force politique en Tunisie à la faveur des résultats de l'élection de l'Assemblée constituante, ses dirigeants ont le vent en poupe. Bien que ne disposant pas de la majorité parlementaire, les responsables de ce parti islamiste considèrent, néanmoins, que le score électoral de plus de 40% réalisé leur donne la légitimité populaire pour gouverner en position de force et conduire les réformes constitutionnelles.
Conscient que son parti est condamné à cohabiter avec d'autres formations politiques dans les institutions de la transition, le président d'Ennahda, Rached Ghannouchi et ses cadres multiplient les déclarations apaisantes et de bonne volonté en direction des autres formations de l'opposition, les invitant à intégrer le gouvernement et à entrer dans des alliances avec son parti pour bâtir une majorité parlementaire largement représentative, reflétant la cartographie du scrutin de dimanche dernier.
Le dénominateur commun de ces forces politiques appelées à se retrouver au sein de cette «grande alliance» à laquelle a appelé le leader d'Ennahda reste l'opposition au régime de Ben Ali. «Nous sommes disposés à entrer dans un gouvernement démocratique avec tous ceux qui ont milité contre Ben Ali», a confié hier Ghannouchi à Radio express FM. Angélisme politique ou ruse de guerre ? Cet héritage en guise de programme commun que les partis d'opposition à l'ancien régime, toutes tendances confondues, ont en partage, suffit-il pour bâtir des alliances politiques solides qui impliquent nécessairement des compromis difficiles, une cohabitation où, sur certains dossiers sensibles, le réflexe partisan reviendra naturellement au galop ? On a vu le résultat dans les pays gouvernés au nom de la légitimité révolutionnaire et autres que celle sortie des urnes !
Les partis démocratiques et progressistes que l'on retrouve dans l'éventail du spectre politique tunisien ayant émergé à la faveur de ce scrutin et qui va du Parti démocrate progressiste (PDP) à Ettakatol en passant par le Congrès pour la République (CPR) sont-ils solubles dans le programme politique et de gouvernement d'Ennahda ? Quand on lit les déclarations des leaders des partis tunisiens qui ont eu les faveurs de l'électorat, les contours d'un deal pour le partage du pouvoir entre Ennahda et les autres forces politiques apparaissent clairement en filigrane dans les intentions affichées désormais publiquement par les uns et les autres. Ennahda a jeté son dévolu sur l'Exécutif, conscient que les leviers du pouvoir sont concentrés au sein du gouvernement.
Les chefs des autres partis susceptibles de rentrer dans la future coalition gouvernementale rêvent pour leur part de s'installer au Palais de Carthage. Au-delà de l'équation de l'exercice du pouvoir qui semble être réglée, Ennahda ne s'empêche pas déjà, forte de sa position de première force politique, d'attaquer au marteau-piqueur des positions avancées des démocrates modernistes en s'en prenant aux «Franco-Arabes» tunisiens dans son plaidoyer pour la réhabilitation de l'usage de la langue arabe. Ce qui donne un avant-goût des luttes à venir qui promettent d'être âpres avec toutes les conséquences que cela peut induire sur le fonctionnement des institutions de la transition et la stabilité du pays.

Une image non faussée
"Le Quotidien" - Encore la Tunisie ? Et pourquoi ne serait-ce pas le cas ! Après tout, c'est une première maghrébine et arabe – si l'on excepte le trop particulier Liban –, cette vraie et bonne élection. Peut-on ne pas parler encore et encore des voisins, quand des urnes incertaines - et donc vraies - finissent par donner une image qui n'est pas faussée du pays ? Et avec un niveau de participation aussi élevé, on peut dire que l'ensemble de la société a bougé et s'est senti concerné. Ces urnes sont neuves et c'est pour cela que les Tunisiens y ont senti du sérieux et s'y sont investis tout aussi sérieusement.
Cette implication des électeurs est à mettre au compte de la classe politique tunisienne. Les femmes et les hommes qui la composent ont su, dans leur diversité et dans leurs divergences, convaincre les citoyens qu'ils peuvent peser sur les choix de leur pays. La sincérité des larmes et de la colère de ceux qui n'ont pu, pour des raisons légales, participer au vote n'est pas à mettre en doute. Il y a eu un triomphe historique de la démocratie dans un pays arabe et maghrébin et ils auraient aimé en faire partie. Ceux qui focalisent sur la victoire, relative, des islamistes ratent la véritable grandeur de l'évènement. Il faut le leur rappeler et le marteler : c'est une élection libre, avec des citoyens libérés. Ce n'est pas une banalité, c'est un renversement.
En attendant qu'elle devienne une banalité, il faut bien prendre la mesure de l'évènement. Des urnes libres ont parlé. Y compris en apportant des surprises. Comme ce parti d'un homme d'affaires faisant clairement dans la démagogie s'est retrouvé à la troisième place. Les électeurs, ruraux en général, se sont trompés peut-être sur le personnage mais ils apprendront à le connaître et à le juger sur pièces. Ils seront mieux avertis au prochain scrutin. Personne ne décidera à leur place. C'est cela l'avantage de la démocratie, personne n'est installé pour l'éternité ; et un élu est comptable de ce qu'il fait, de ce qu'il dit et des promesses. Rendre des comptes est l'apanage des démocraties, c'est son absence qui mène les pays non démocratiques à la ruine.
On peut donc dire, sans grandiloquence, qu'un grand bouleversement est en train de s'opérer. On a tellement vécu – et on le vit encore – dans des formes de représentation politique biaisées qu'on ne peut que ressentir la fraîcheur d'une élection renvoyant une image non tronquée de la société. Bien entendu, cette image non tronquée met mal à l'aise ceux qui sont installés dans leur certitude. Le camp dit moderniste en Tunisie a été tenu en échec car la réalité sociologique, longtemps brimée par le système policier, s'exprime librement. Elle casse les images cartes-postales. Elle restitue l'image duale d'une Tunisie à majorité rurale et d'une Tunisie côtière plus développée.
Cette Tunisie profonde, qui s'exprimait parfois dans la colère et la répression comme dans le bassin minier de Gafsa, est désormais là. Elle pèsera par ses choix et son poids électoral sur le devenir du pays. Pendant des décennies, la représentation factice incarnait l'image du pays telle que souhaitée par le régime. Pour la première fois, le système politique va correspondre au désir de la société. Et, bien entendu, le fait que cette société des électeurs libres ait la possibilité de changer les gouvernants à la prochaine élection en fonction de leur bilan est un prodigieux progrès. La Tunisie est le premier pays arabe qui se remet politiquement à l'endroit : c'est la société qui choisit ses dirigeants et qui les renvoie. Pas l'inverse.

Les éditocrates repartent en guerre
"Monde diplomatique" - C'est la première élection libre tenue dans le monde arabe depuis plus de cinquante ans – à l'exception, particulière, de la Palestine où le scrutin s'était tenu sous occupation. La campagne a été animée, la participation massive malgré tous les Cassandre qui prétendaient le peuple déçu par l'absence de changements, comme si le peuple ne s'intéressait qu'aux questions de subsistance et pas à la liberté et à la démocratie. Bien sûr, les élections n'ont pas été parfaites. Certains ont évoqué le poids de l'argent, notamment avec cet homme d'affaires basé à Londres qui a réussi à obtenir un grand nombre de députés (sans doute en amalgamant les rescapés de l'ancien régime). Mais peu de démocraties ont réussi à régler le problème des rapports entre la politique et l'argent – que l'on songe aux Etats-Unis ou à la France. Les Tunisiens ne s'y sont pas trompés et tous les observateurs ont noté non seulement la forte participation, mais aussi l'émotion et la joie de personnes qui faisaient la queue pendant des heures pour glisser un bulletin dans l'urne.
Mais voilà : certains n'acceptent la démocratie que lorsque les électeurs votent comme ils le souhaitent. Que le peuple palestinien sous occupation vote pour le Hamas, et l'Occident organise le blocus du nouveau gouvernement et sa chute. Que les Tunisiens votent pour Ennahda, et voilà nombre de nos éditorialistes, ceux-là même qui affirmaient que le printemps arabe avait vu la disparition des islamistes, s'interroger gravement et reprendre une vieille antienne : les Arabes ne sont pas mûrs pour la démocratie ou, comme ils l'écrivaient avant, mieux vaut Ben Ali que les islamistes.
Heureusement, tous ne sont pas sur la même longueur d'ondes, mais le titre « Après le régime de Ben Ali, celui du Coran » du journal de 7 heures de France-Inter le 25 octobre résume la position de toutes les chaînes de Radio France, mobilisée sur un anti-islamisme primaire.
Dans L'Express, Christophe Barbier, celui-là même qui qualifiait la guerre israélienne contre Gaza de « guerre juste », écrit (« Après le printemps arabe, l'hiver islamiste? », 25 octobre) :
« C'est une peur qui chemine alors que les armes se taisent et que s'élève le brouhaha des urnes. Une peur un peu honteuse, tant l'irénisme est de rigueur, et tenace aussi, le remords d'avoir si longtemps soutenu des dictateurs, avec, pour seule raison, cynique mais valable, d'être en sécurité sur nos rives. Une peur nourrie par les cris des coptes massacrés en Egypte, les premières élections en Tunisie et l'engagement du Conseil national de transition libyen à faire de la charia la “source première de la loi”. Cette peur, c'est celle de l'islamisme, celle d'un pouvoir barbu et liberticide, dont les imams psychopathes remplaceraient les militaires d'opérette et les despotes débauchés d'hier. »
« Jamais cette crainte n'a abandonné les esprits occidentaux, même si le vacarme de la fête droits-de-l'hommiste l'a reléguée depuis janvier dans l'arrière-boutique de la foire-fouille sondagière. Elle ressort aujourd'hui parce que nous sommes dans un marécage idéologique, un entre-deux politique où les potentats sont déchus, mais les démocraties, pas encore installées. Balbutiantes et vacillantes, elles sont comme un enfant effrayé par ses premiers pas dans un monde vertigineux. Arabes et Occidentaux, tous épris de paix et de liberté, nous sentons que quelque chose a gagné, qui était juste, mais qu'autre chose aujourd'hui menace, qui est terrible. Et si rebelles et révoltés avaient œuvré, à leur insu, pour préparer le règne des imams ? Et si nous avions fourni, enfants béats de Danton et de Rousseau, le moteur démocratique au véhicule islamiste ? S'imposer par une révolution ou une guerre civile n'est rien à côté d'élections gagnées : l'islamisme pourrait bien, demain, affirmer être légitime selon les critères mêmes de l'Occident. Que répondrons-nous ? »
Eh bien, nous répondrons que c'est le jeu de la démocratie. C'est ce que font les partis de la gauche tunisienne, dont certains s'apprêtent à gouverner avec les islamistes. Car, nous le savons tous, des élections libres donneront dans tout le monde arabe un poids important aux islamistes (dans ses différentes déclinaisons, et Ennahda en Tunisie n'est pas les Frères musulmans en Egypte ou au Maroc) et le choix est clair : soit le retour aux dictatures que l'Occident a soutenues sans états d'âme ; soit la confiance dans la démocratie, dans les peuples, qui, même musulmans, aspirent à la liberté et non à une dictature de type taliban.
Autre éditorialiste, Jean Daniel, toujours mal à l'aise quand il s'agit de l'islam et qui a mis si longtemps à dénoncer la dictature de Ben Ali. Son texte publié le 26 octobre, « Tunisie. Victoire programmée pour les islamistes » (Nouvelobs.com) est un mélange d'erreurs factuelles – que signalent d'ailleurs ses lecteurs sur le forum – et des préjugés qui animent une bonne partie de la gauche française.
« Le plus triste, c'est que cette victoire altère les couleurs du Printemps arabe, décourage les insurrections modernistes, et galvanise les insurgés religieux. La Tunisie était un exemple à suivre pour tous les nouveaux combattants arabes de la démocratie. Elle est devenue un modèle pour les mouvements religieux».
Insurgés modernistes ? insurgés religieux ? Sur la place Tahrir tant célébrée, tous les vendredis, des milliers de manifestants faisaient la prière. A quel courant appartenaient-ils ? moderniste ? religieux ?
« Une bonne partie des opinions publiques, tant en Occident que dans les pays arabo-musulmans, s'étaient détournées des compétitions sportives ou de la crise financière mondiale pour s'intéresser à ce qu'il se passait dans un petit pays méditerranéen de 12 millions d'habitants. » (...)
Avaient-elles tort ?
« Les Tunisiens se sont donné le droit de vote. Encore fallait-il que les élections fussent libres. Elles l'ont été pour la première fois et chacun s'est incliné devant le civisme allègre des citoyens qui, par leur vote à près de 90%, étaient supposé charger les 217 constituants d'établir une forme d'Etat de droit en respect avec les principes essentiels qui font une démocratie. Le combat reste ouvert mais il est compromis. On va voir si les Tunisiens savent se reprendre et organiser une coalition qui empêche les 70 nouveaux constituants d'imposer leurs lois. »
Les Tunisiens doivent « se reprendre » ? Quelle condescendance à l'égard de ces ex-colonisés qui ont le front de ne pas voter comme les intellectuels parisiens le souhaitent.
Et Jean Daniel dresse un étrange parallèle avec l'Algérie: « Si une vigilance, parfois ombrageuse, s'est imposée aux familiers de l'histoire du Maghreb dès qu'il a été question d'élections libres en Tunisie, c'est parce qu'ils gardaient à l'esprit ce qui s'était passé, en Algérie, entre le 5 octobre 1988 et le 14 janvier 1992. Bilan : environ 150 000 morts. » Que signifie ce charabia ? Entre octobre 1988 et les élections de janvier 1992, il n'y a pas eu 150 000 morts. Les morts sont venus après que l'armée a arrêté le processus démocratique. Ce coup d'Etat fut, selon Jean Daniel, « populaire aux yeux de l'opinion démocratique » et « a sans doute protégé l'Algérie d'une victoire des ennemis islamistes de la démocratie ».
Populaire aux yeux de l'« opinion démocratique » ? Faut-il rappeler que de nombreux partis non confessionnels, comme le Front des forces socialistes (FFS) ou même le Front de libération nationale (FLN), ont pris position contre le coup d'Etat ? Et qui peut prétendre que ce coup a protégé la démocratie ?
« Pour nombre de laïcs ou simplement de républicains, fussent-ils les plus musulmans, l'expression “islam modéré” est un oxymore : il y a contradiction absolue entre les deux mots. Pour d'autres, la capacité de résoudre les problèmes considérables que la construction et le développement de la Tunisie vont poser est assez faible sans l'appui des forces qui se disent encore islamistes mais qui ne sont souvent que conservatrices. Elles répondent au besoin d'ordre et d'autorité qui, dans l'histoire, est toujours apparu après le chaos provoqué par des journées insurrectionnelles. »
Nombre de laïcs, de républicains contestent l'expression islam modéré ? Jean Daniel confond les musulmans qui s'expriment abondamment dans les médias occidentaux avec l'opinion dans le monde arabe. Les deux plus importantes forces de gauche en Tunisie ont accepté le principe d'une collaboration avec Ennahda, preuve qu'elles croient qu'il existe non pas un « islam modéré », mais des organisations islamistes qui acceptent les règles de la démocratie.
Plus largement, les clivages qui divisent la Tunisie ne se résument à celui entre laïcs et islamistes. D'autres questions se posent à la société, aussi bien sociales que politiques, des choix du développement comme celui de la politique internationale et régionale. Rien ne serait plus dangereux que de faire des combats dans le monde arabe des combats entre deux blocs homogènes, laïcs et islamistes. Non seulement parce que la victoire de ces derniers serait certaine, mais aussi parce que ce n'est pas le principal clivage de la société.
Oui, Ennahda est une organisation conservatrice, notamment sur le plan des mœurs et de la place des femmes ; elle est libérale en matière économique ; son fonctionnement a longtemps été vertical (comme tous les partis de la région), même s'il est désormais contesté par les nouvelles générations et les nouvelles formes de communication. Il ne s'agit donc pas de donner une image idéalisée du mouvement, mais de reconnaître que, comme le Hamas en Palestine, il est une partie de la société, et que son exclusion signifie l'instauration d'une dictature militaire.
D'autres éditoriaux reprennent cette même ligne islamophobe. On pourra lire bien d'autres contributions sur le thème, que ce soit Alain-Gérard Slama dans Le Figaro du 26 octobre (« Elections en Tunisie : sous le jasmin, les cactus », heureusement ce texte n'est pas en accès libre sur le site du journal) ; ou encore Martine Gozlan, ou l'inénarrable Caroline Fourest, qui écrit notamment sur son blog : « Dire qu'Ennahdha est “modéré” parce qu'il existe des salafistes très excités, c'est un peu comme expliquer que Le Front national de Marine Le Pen est de “gauche” parce qu'il existe des skinheads. »
Mais ne tombons pas dans la paranoïa : fort heureusement, d'autres textes font la part des choses.
On notera la tribune de Bernard Guetta dans Libération du 26 octobre,« L'impardonnable faute des laïcs tunisiens » – encore que l'idée d'un nécessaire front des laïcs me semble contestable.
Et aussi l'éditorial du Monde (27 octobre), « Et si, en Tunisie, la démocratie passait par l'islam ? » :
« L'annonce concomitante du retour de la charia en Libye, avant la poussée électorale attendue d'autres forces islamistes en Egypte, risque ainsi d'alimenter l'incompréhension face à des révolutions menées pour les droits de l'homme qui ne se traduisent pas instantanément par l'adoption des valeurs que les Occidentaux revendiquent. C'est singulièrement vrai sur la question des droits qui doivent être reconnus aux femmes. Ce serait cependant faire injure aux Tunisiennes et aux Tunisiens que de décréter, toutes affaires cessantes et sans qu'il soit nécessaire de voir les vainqueurs à l'ouvrage, que le succès d'Ennahda sonne le glas de leur “printemps”. En l'occurrence, si une loi mérite l'attention, dans les pays qui vont voter pour la première fois autrement que sous la matraque et pour un parti unique, c'est sans doute moins la loi islamique qu'un code autrement plus prosaïque : la loi électorale. »
« La réussite des transitions arabes passe nécessairement par l'adhésion du plus grand nombre à un projet commun, et donc par le compromis et la négociation. A cet égard, le système proportionnel retenu en Tunisie qui écrête les raz de marée électoraux au lieu de les amplifier et contraint le vainqueur à trouver des alliés est judicieux ; il permet d'éviter une situation à l'algérienne, lorsque le Front islamique du salut retourna à son profit en 1991 un système conçu pour favoriser le FLN. »
« La volonté exprimée par des opposants historiques tels que Moncef Marzouki et Mustapha Ben Jaafar, dont les partis ont obtenu des résultats encourageants, de trouver des terrains d'entente avec Ennahda dessine un tout autre chemin, celui d'un apprentissage de la démocratie qui passe moins par l'anathème que par le dialogue. Sans faire preuve d'un angélisme excessif, il est permis de le juger prometteur. »
Et les élections tunisiennes seront à marquer d'une pierre blanche sur la longue voie des peuples arabes vers la démocratie.

Le laboratoire tunisien
"LIBERTE" - Que se passe-t-il en Tunisie ? Trois jours après le vote des Tunisiens pour une Assemblée constituante, personne n'ose prononcer les résultats largement acquis aux islamistes d'Ennahda qui ont raflé la mise sur des scores que l'Occident estime inavouables.
La révolution du Jasmin a été la première à se déclencher dans les pays arabes. Et c'est la première qui a abouti à un vote démocratique. Mais les choses ne semblent pas se dérouler de manière aussi transparente que le veut la communauté internationale qui s'est réveillée sur la désagréable sensation que l'expérience tunisienne est en train de virer au cauchemar.
Trois jours de tripotages électoraux, de faux suspenses et de tractations souterraines pour faire baisser le score d'Ennahda. C'est la triste réalité du processus électoral tunisien qui a accouché du plus prévisible mais inquiétant scénario politique. Les islamistes d'Ennahda ont gagné. Largement. Trop largement aux yeux de l'Occident. Dans les milieux politiques, tout le monde sait qu'Ennahda culmine entre 57 et 60%. Un score qui fait peur. Un résultat qui affole l'Occident et les démocrates tunisiens. Un raz-de-marée qui fait réfléchir le général tunisien Amar et son état-major sur la suite à donner à une élection-pilote dans le monde arabe.
Les islamistes ont gagné. Mais les apprentis-sorciers européens et américains ne s'imaginaient pas l'ampleur de la débâcle de la démocratie tunisienne. Tous ces experts, qui admettaient le politiquement correct d'El-Ghannouchi et qui se gaussaient du fait que l'islamisme modéré a sa place dans le processus démocratique, font la grimace. La Tunisie a basculé avec armes et bagages dans les bras du fondamentalisme. Un point c'est tout.
La solution ? Aucune qui ne fasse pas de dégâts. Rached El-Ghannouchi, le Nahnah tunisien, se retrouve avec les clés du nouveau système tunisien. Il peut décider à lui seul et les islamistes ne veulent pas être privés de leur victoire totale par un cynique tripotage des chiffres. L'armée tunisienne et l'Occident ne sont pas prêts à admettre une telle bérézina. Car ce n'est plus la Tunisie qui est concernée mais tout le processus de démocratisation arabe qui est fragilisé.
Si les islamistes gagnent en Tunisie, le pays qui était censé avoir le plus d'anticorps, qu'en sera-t-il alors avec les Frères musulmans en Egypte ou les salafistes en Libye ? Des Etats théocratiques sont en train de naître au Maghreb, tranquillement, à un jet de pierre de l'Europe et qui ne ressembleront pas au “modèle turc”. Il est évident que l'Occident s'imaginait des sociétés musulmanes gérables par un islamisme soft mais de là à ce que le mouvement démocratique soit réduit à la seule expression islamiste. C'est un pas que les laborantins politiques occidentaux ont tout fait pour minimiser. En vain.


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