Avec 90 sièges à l'Assemblée constituante, le parti Ennahdha est, désormais, la première force politique du pays. Sa large victoire lui permet de réaliser un vieux rêve, celui de briguer le pouvoir. Il le doit à la Révolution et ses martyrs et à la grande maturité du peuple tunisien, véritable artisan des premières élections libres et démocratiques de l'histoire du pays. Le verdict des urnes réserve parfois des surprises et fausse souvent, les prévisions des sondages d'opinion. Est-ce le cas des dernières élections de la Constituante ? Non, si on exclut la percée fulgurante et inattendue de la « pétition populaire » (Al Aridha) parraînée par M. Hechmi Hamdi et l'échec du Parti Démocratique Progressiste (PDP) de M. Ahmed Najib Chebbi. Pour Ennahdha, c'était presque prévisible. Le parti, perçu comme celui qui a le plus souffert de la dictature de Ben Ali et le plus à avoir résisté à son régime mafieux, a brassé large par des campagnes de proximité d'envergure de la Tunisie profonde jusqu'à l'étranger et à la faveur d'un discours rassurant et apaisant sur le respect des libertés publiques, des droits de la femme, de l'alternance démocratique et des valeurs de la République. Aujourd'hui encore, alors que les contours du paysage politique se dessinent, les leaders et les cadres du partis réitèrent ce même discours à l'adresse surtout de ceux qui les soupçonnent de double langage et dont la victoire d'un parti islamiste suscite appréhension, peur et crainte pour l'avenir du processus démocratique naissant. On ne peut par de simples paroles et uniquement par les bonnes intentions annihiler la hantise d'une radicalisation du pouvoir et d'un retour en arrière qui taraude l'esprit du camp dit moderniste. Il faut donc attendre que ce parti soit à l'épreuve de la gouvernance pour le juger sur ses actes et connaître les compromis à conclure avec les partis acceptant d'entrer en coalition. Car Ennahdha sait que le peuple a voté pour le changement d'un régime non pour le changement d'une société. Encore mieux, il sait qu'il est dans l'obligation de rendre des comptes à la société qui a désormais le pouvoir de changer ses gouvernants en fonction de leur bilan aux prochaines élections. Et il n'a nullement l'intention de subir tout seul l'éventualité d'un échec ni le courroux du peuple.