Par Hédia BARAKET A presqu'un mois des élections de l'Assemblée nationale constituante et en attendant le démarrage officiel, dans une dizaine de jours, de la campagne électorale qui devra braquer plus de lumière sur les partis en lice et leurs programmes et mieux orienter nos choix électoraux, notre nouvelle vie politique avance entre chantiers et polémiques. Dans une transition profondément marquée par la faible autorité gouvernementale et l'Etat de non-droit autorisé par son administration — les partis politiques en compétition pour la future gouvernance de la Tunisie et les trois instances chargées de leur en fournir le cadre juridique, sont pris de plus en plus directement dans de véritables bras de fer ou au corps à corps à teneurs et conséquences différentes. Et si le long corps à corps entre Yadh Ben Achour et les onze partis signataires de la Déclaration du processus de transition s'est soldé la semaine dernière par un accord basique, quoiqu'en disent les sceptiques, un véritable bras de fer oppose quelques partis à l'Isie à propos de l'argent politique et de l'interdiction de la publicité, même si on parle beaucoup moins des partis plus nombreux qui se sont conformés à l'interdiction. Un autre bras de fer est celui qui continue d'opposer, d'un autre côté, le Syndicat des directeurs des médias à l'Inric, à propos du décret-loi sur l'organisation du secteur de l'audiovisuel, contenant lui aussi des garde-fous quant à la réglementation de la publicité politique et de la campagne électorale… Ainsi, au-delà de leurs teneurs différentes, ces bras de fer ont de commun qu'ils se passent entre des instances provisoires chargées de mettre en route les réformes politiques minimales que requiert la transition démocratique et appelées à disparaître d'ici aux élections et entre des pouvoirs de nature durable (partis et médias) qui se préparent à prendre en main le destin du pays. Mais il est de plus en plus évident encore que ces bras de fer se font exclusivement autour de la question éthique et déontologique. Acceptant les cadres politiques et juridiques qu'ont produits à ce jour les trois instances, pour l'organisation de la transition et des premières élections, les chefs de parti et les patrons de médias ne rechignent à ce jour que devant une seule et même recommandation : celle du cadre déontologique et éthique qui constitue la modalité essentielle de l'exercice démocratique : à court terme, et le moins que puisse demander la Tunisie est une campagne à égalité des chances ou pas ?… Toutefois, les réformes politiques et juridiques entamées lors de cette transition ne sont pas seulement confrontées aux bras de fer des pouvoirs à venir. Elles continuent à être au centre de contre-courants à moindre impact et moindre retentissement certes, mais suffisamment insidieux pour minimiser l'utilité des prochaines élections et justifier pleinement une abstention annoncée. Supportés par des sondages et des enquêtes dont les conclusions trop générales et unanimes sont à prendre avec prudence et discernement, ces contre-courants s'inscrivent consciemment ou inconsciemment dans la filiation de la devise, du choix impossible et insensé «Pain ou Démocratie !» de l'ancien régime… Or, la maturité politique requise pour réussir un premier rendez-vous démocratique durement brigué nous oriente plutôt vers les perspectives moins fatalistes et plus réalistes du vote sanction et non de l'abstention, dans l'attente du pain. Pour des politologues et des observateurs indépendants, les Tunisiens qui se rendront aux urnes le 23 octobre prochain le feront non pas seulement par adhésion totale et inconditionnelle à des choix et des programmes partisans de toute façon non encore aboutis, mais surtout pour sanctionner l'ancien régime et conjurer la dictature et éloigner son spectre… Et ce n'est pas propre à la Tunisie, explique-t-on. Partout où la misère est le véritable ennemi, la dette économique et le système financier incontrôlés, partout où les démocraties sont à instaurer où à rajeunir, les peuples sont désormais face à un choix nouveau aussi vieux que le monde : l'utopie ou la guerre ! L'utopie qui donne à rêver et à construire sa cité ou la guerre si aisée qui la détruit…