Je n'ai pas exprimé mon sentiment sur la situation dans mon cher pays, la Tunisie, depuis le 27 janvier, mais je sens aujourd'hui que l'heure de vérité est arrivée, alors je reprends ma plume. A l'époque, l'euphorie était le sentiment qui régnait, sans écarter une certaine appréhension par rapport à un futur incertain, basé sur l'autodétermination et la démocratie. Le vote de ce 23 octobre 2011 est un triomphe pour cette volonté affichée de prendre son destin en main. La participation massive est un signe que la population avait réellement soif de liberté et de démocratie. L'apprentissage démocratique se fait petit à petit mais un grand pas a été franchi le week-end dernier. Beaucoup de choses sont à améliorer, les transgressions aux règles de base d'élections transparentes ont été relevées et transmises aux commissions compétentes, mais n'empêche, ce fut un succès à la hauteur des attentes. Venons-en aux premiers résultats justement. Les tendances non-officieuses sont clairement favorables au parti islamiste d'Ennahdha (entre 35-50% des voix). Le CPR suit derrière là ou beaucoup ne l'attendait pas. Certaines listes indépendantes arrivent à se hisser dans le trio de tête. Ettakatol semble être le parti modéré qui tire le mieux son épingle du jeu. Le PDP est largement en deçà de là où on l'attendait. Le PDM a réussi à attirer les votes dans ses bastions naturels. Ces tendances n'étant que des tendances, on va essayer quand même d'attribuer les premières mentions, juste parce qu'on le vaut bien :) AS des AS: Ennahdha qui à travers sa marge de victoire montre la supériorité de son organisation et la profusion de ses deniers. Le CANCRE : PDP qui avait misé sur une confrontation directe avec Ennahdha et qui perd beaucoup de plumes L'ARBITRE : le CPR, qui malgré ses approches répétées vers Ennahdha en vue d'une coalition dans la constituante, pourrait revoir ses plans vu qu'il est devenu le faiseur de roi avec son score. PEUT MIEUX FAIRE : Ettakatol qui arrive à la tête des composantes du centre-gauche mais avec un score juste correct. NICHE : PDM qui arrive à tirer son épingle du jeu dans les quartiers huppés de Tunis mais qui n'arrive pas vraiment à attirer les votes ailleurs. DECALE : Afek Tounés qui avec un discours d'idées et d'action et pas d'idéologie s'est peut être trompé de champ de bataille pour ces élections. TECHNOCRATE : Doustourouna et autres listes indépendantes composées d'avocats et d'hommes de droit. Ces listes n'ont pas eu la cote finalement, ce qui montre que beaucoup de gens ne comprennent pas la mission de la constituante. NOSTALGIQUE : «L'Initiative» qui récolte beaucoup de voix dans le centre nerveux traditionnel de l'ancien régime qu'est la région du Sahel. On vivait bien sous ZABA dans ces contrées là, sans aucun doute ... La SURPRISE DU CHEF : Al-aridha de Hechmi Hamdi arrive en tête des suffrages dans les régions où la révolution a démarré (Sidi Bouzid, Gafsa et Kasserine). Serait-ce le signe que les «fils» de la révolution ne se reconnaissent dans aucun des partis de la place? J'entends dire que beaucoup de manifestations et grèves anti-Ennahdha se préparaient en Tunisie pour hier 24 Octobre 2011. Je pense que c'est irresponsable de réagir de cette façon là. Le parti islamiste a toujours clamé son attachement à la démocratie et que si jamais il arrivait à prendre le pouvoir par les urnes, il respecterait le choix du peuple par la suite. Personne ne veut d'un scénario à l'algérienne où une entité (l'armée) décide d'annuler des élections par peur de ce que les vainqueurs (islamistes) allaient instaurer comme régime/gouvernement, avant que ces derniers n'aient pris aucune décision. Tout le monde doit assumer ses responsabilités tout en restant vigilant par rapport aux aspirations démocratiques des nouveaux donneurs d'ordres. Pour une démocratie claire et construite sur des bases solides, il est en fin de compte positif qu'Ennahdha soit obligée de gérer ses dissensions internes (entre radicaux qui ne sont pas démocrates et modérés qui se proclament du modèle turc). Maintenir l'ambiguïté comme a su le faire Ghannouchi durant toute la campagne, nuit à l'avenir du pays. Du côté de Moncef Marzouki, ça doit être la jubilation. Il est l'acteur incontournable sur la scène politique avec son score. En fin politicien, il doit être en train de voir ce qu'Ettakatol et le PDP et autres «modérés» peuvent lui offrir pendant qu'il fait les yeux doux à Ennahdha. Tout ce que je souhaite, c'est que le bien de la Tunisie prime sur les intérêts particuliers des uns et des autres. Une alliance avec Ennahdha leur donnerait sûrement une large majorité dans l'assemblée et leur permettrait d'avancer leurs agendas respectifs sans trop de soucis. Le gros risque pour Marzouki est que la proposition de constitution que cette coalition mettra sur la table lui aliénera une partie de la population qui rejette déjà Ennahdha et ceci en vue d'éventuelles élections présidentielles auxquelles il a annoncé qu'il voulait se présenter depuis longtemps. Ayant participé à l'organisation du bureau de vote à San Francisco, j'ai vécu des moments extraordinaires pendant ces trois jours. J'ai vu des gens en larmes parce qu'ils sont arrivés 5 minutes avant la fermeture du bureau après avoir été bloqués dans les embouteillages pendant des heures. J'ai vu des jeunes, des vieux, des femmes et des enfants, affluer à un bureau de vote du bout du monde (on était le dernier à fermer des bureaux de vote à l'étranger) pour faire leur devoir électoral et maintenir ce lien viscéral qui nous lie tous à notre cher pays. On rêvait d'élections libres un jour en Tunisie, on vient de les avoir. Rêvons de quelque chose de plus grand, on arrivera à le faire, on est Tunisien après tout! Mohamed Ali Kilani