Vendredi 11 novembre, une rencontre a eu lieu à la bibliothèque Art-Libris au Kram avec la romancière tunisienne Emna Belhaj Yahia qui a présenté devant un public féru de littérature, son dernier livre « Jeux de rubans » qui vient de paraître aux éditions Elysad. Cette maison qui vit le jour en 2005 a déjà publié plus d'une trentaine de titres. Plusieurs de ses auteurs ont reçu des prix littéraires. Cette maison a pour objectif de « faire entendre, au sud comme au nord, des voix singulières, d'ici et d'ailleurs, lire le monde dans sa pluralité ». Cette année, Elysad a fait une rentrée littéraire essentiellement féminine en publiant deux ouvrages de deux Tunisiennes, à savoir « Jeux de ruban » de Emna Belhaj Yahia et « Watan » de Azza Filali, encore sous presse. Les deux ouvrages sont ancrés dans la société tunisienne d'aujourd'hui. Dans « Jeux de rubans », Emna Belhaj Yahia brosse un tableau réaliste de la société tunisienne d'aujourd'hui en exposant les transformations et les évolutions souvent contradictoires subies en Tunisie depuis la Révolution du 14 janvier ainsi que les divergences qui se sont manifestées au niveau des idées et des comportements chez les différentes générations, notamment au travers d'un phénomène vestimentaire, qu'est le port du voile, qui a pris sensiblement de l'ampleur, surtout chez la jeunesse féminine, et qui est à l'origine d'un nouveau conflit entre les différentes générations : celles qui ont choisi par conviction ou par conformisme, ce « ruban » pour servir d'un couvre-chef à connotations religieuses et celles qui, aujourd'hui adultes, ouvertes et tolérantes, ont vécu durant un demi-siècle sans souci de se recouvrir la tête de ce « foulard islamique », s'étant toujours senties libres de choisir leurs habits personnels ! En effet, dans ce roman, l'auteure met en scène ces deux générations: une confrontation entre la modernité et le conservatisme. Frida, la cinquantaine, universitaire et divorcée, occupe son temps entre son fils Tofayl, son compagnon Zaydûn, et sa mère, très âgée, à laquelle elle se consacre tous les matins. Pour elle, les choses semblent changer dans les rues où elle croise de plus en plus des femmes voilées, ce qu'elle n'arrive pas à comprendre, elle dont la mère a justement abandonné le voile il y a des décennies. Elle se demande pourquoi ces femmes s'habillent de la sorte, les unes s'étant couvert la tête d'un voile, d'autres ayant totalement enveloppé leur corps des pieds à la tête d'un niqab ? Comment s'habituer à cette nouvelle vague vestimentaire qui envahit nos rues et nos pensées ? Que veulent dire ces filles porteuses de voile et de niqab, ces habits considérés comme étrangers à notre société, à nos traditions vestimentaires ? Mais le problème est loin de se limiter au seul aspect vestimentaire pour s'étendre à des interrogations philosophiques et existentielles que Frida se pose sur ce changement brusque et choquant dans nos valeurs. Frida cherche en vain des réponses à toutes ces questions jusqu'au jour où son fils Tofayl s'éprend d'une jeune étudiante portant le « hijab », ce fils à qui elle avait pourtant montré la voie de la modernité… Frida s'emporte, son ouverture d'esprit et sa rationalité mises à mal par les sentiments d'incompréhension et d'impuissance qui la taraudent. Un roman d'actualité à lire absolument. Rappelons que Emna Belhaj Yahia est née en 1945 à Tunis où elle vit actuellement. Après des études supérieures en philosophie en France, elle a enseigné plusieurs années cette matière en Tunisie, puis a travaillé dans le secteur de la culture. Romancière, elle a notamment publié « L'étage invisible » (Cérès Tunis et Joëlle Losfeld, Paris, 1997), Tasharej (Balland, Paris, 2000). Elle aura une rencontre à la 26è Fête du Livre de Saint-Etienne entre le 14 et le 16 novembre courant pour participer à une table ronde « Le printemps arabe » et sera l'invitée à la 15è Edition du Livre du Var à Toulon du 18 au 20.