La Banque centrale européenne (BCE) doit intervenir davantage sur le marché des dettes publiques, sinon "c'est la crise de 1929", a estimé mardi le président d'une banque européenne et ancien patron d'une grande banque française, Jean Peyrelevade. L'Europe peine à trouver le moyen de sortir de l'ornière où elle s'est elle-même embourbée. Les consultations entre responsables européens se sont intensifiées mardi pour tenter de circonscrire la crise de l'euro qui menace à présent la France, dans un contexte mondial encore exacerbé par l'impasse politique aux Etats-Unis sur la limitation de la dette. Pour son premier déplacement à l'étranger, le nouveau chef du gouvernement italien, Mario Monti, était attendu en milieu de journée à Bruxelles pour des entretiens avec les présidents de la Commission européenne, José Manuel Barroso, et de l'UE, Herman Van Rompuy. Mario Monti, un ancien commissaire européen qui pilote également le ministère de l'Economie, a présenté la semaine dernière un programme très ambitieux d'austérité et de relance pour restaurer "la crédibilité" de l'Italie et contribuer à sauver l'euro. Troisième économie européenne, l'Italie, endettée à hauteur de 1900 milliards d'euros, risque l'asphyxie en raison de la montée vertigineuse des taux de ses emprunts d'Etat. Quant au nouveau Premier ministre grec, Lucas Papademos, après avoir rencontré lundi MM. Barroso et Van Rompuy à Bruxelles, il a été reçu mardi à Luxembourg par Jean-Claude Juncker. Les ministres des Finances de la zone euro, dont Jean-Claude Juncker est le chef de file, ont réclamé des engagements écrits au gouvernement grec sur l'application des mesures d'austérité et les réformes structurelles, avant le versement vital de 8 milliards d'euros de prêts d'ici la mi-décembre. Or Lucas Papademos n'a pas apporté cet engagement lundi. Il a promis que le gouvernement grec d'union nationale s'y tiendrait, mais a appelé les partis qui le soutiennent à en faire autant "pour dissiper les incertitudes et les ambiguïtés". Au lendemain d'une nouvelle journée noire sur les bourses et en dépit d'un rebond "technique" ce mardi, les marchés étaient encore inquiets des menaces sur la note "triple A" de la France après un nouvel avertissement de l'agence Moody's lundi, qui risque de se traduire par une prochaine dégradation de la note souveraine française. Dans ce climat de tension sur les marchés, l'agence de notation financière Fitch a maintenu mardi la note de la dette souveraine espagnole à "AA-" après la victoire de la droite aux élections dimanche, mais a appelé le prochain gouvernement à prendre des "mesures supplémentaires" pour réduire le déficit public. Le maintien de la notation AA- ne va pas aider l'Espagne à se financer aux meilleurs prix. Le Trésor espagnol a émis mardi pour 2,978 milliards d'euros de bons à 3 et 6 mois, devant concéder des taux d'intérêt en très forte hausse dans un climat d'extrême tension des marchés, insensibles à la victoire de la droite aux élections dimanche. Par rapport à la dernière émission similaire, le 25 octobre, le taux des bons à trois mois a été multiplié par deux, à 5,110% (contre 2,292% la fois précédente). Une progression qui était attendue alors que l'Espagne vit depuis une dizaine de jours un fort regain de tension sur les marchés, que la large victoire de la droite, dimanche, aux élections législatives n'a pas semblé apaiser. Dans ce contexte, les appels à la Banque centrale européenne pour qu'elle joue un rôle accru afin d'éteindre l'incendie de la crise de la dette en zone euro continuent de se multiplier. L'ambassadeur des Etats-Unis auprès de l'Union européenne, William Kennard, a laissé entendre mardi qu'elle avait le "potentiel" de faire davantage afin de résoudre la crise. Une source proche de la Commission européenne a aussi estimé à Berlin que la BCE était "l'alternative principale" à court terme pour lutter contre la contagion de la crise de la dette. Mais l'Allemagne, et la BCE elle-même, s'opposent pour le moment à ce que l'institution joue le rôle de "prêteur en dernier ressort" en achetant massivement de la dette des Etats en difficulté. L'inquiétude des marchés mardi tenait aussi aux mauvaises nouvelles venues d'Outre-Atlantique où, après trois mois d'efforts, la "super-commission" du Congrès chargée de réduire la dette des Etats-Unis a annoncé lundi qu'elle n'était pas parvenue à un accord entre gauche et droite. La BCE, dernier recours "Si on ne fait pas intervenir la BCE, tout pètera", la BCE doit "dire publiquement 'j'assurerai la liquidité du marché secondaire de la dette souveraine' ", a déclaré Jean Peyrelevade, ancien patron du Crédit Lyonnais et actuel président de la banque d'affaires européenne Leonardo, lors d'une conférence de presse. Alors que le gouvernement français exclut de lancer un troisième plan de rigueur, Jean Peyrelevade considère que la France n'est "pas au bout de la rigueur". "Ce qui a été fait est encore marginal par rapport à ce qui reste à faire", a-t-il dit. "Aujourd'hui vous avez le même problème de liquidités" qu'en 2008 lors de la crise des crédits immobiliers à risque (subprimes), "simplement ce ne sont pas la banques mais ce sont les Etats". "Pourquoi, pour les Etats, il est interdit de faire ce que la BCE a fait pour le système bancaire ?", a argué Jean Peyrelevade. Il a également estimé que l'Europe avait "raté l'occasion" de créer des euro-obligations (emprunts publics mutualisés entre plusieurs pays de l'Union européenne), et que "ça ne servait plus à rien" vu que "toutes les dettes des Etats sont attaquées". Plusieurs gouvernements, dont celui de la France, font pression depuis des semaines pour que la BCE vienne davantage à la rescousse des pays de la zone euro menacés par la crise de la dette. Mais l'institution monétaire de la zone euro, soutenue par l'Allemagne, s'y refuse.