Ils sont des centaines à camper depuis l'inauguration de la première séance de l'Assemblée Constituante au Bardo. Ils sont venus du fin fond de la Tunisie profonde, des entrailles de ce petit pays qui a chamboulé l'ordre du monde et réalisé l'accouchement de la première démocratie arabe. Ils sont venus en grand nombre bradant froid, précarité et insécurité. Fiers, vaillants et dignes mais surtout mécontents des projets de lois et des résultats actuels, ils ont affiché hier des banderoles, des affiches et des pancartes criant les mêmes slogans populaires d'antan, de la Kasbah I et II à la Place du Gouvernement. Cette fois-ci, ils ont choisi le siège de l'Assemblée au Bardo. Drapés par le drapeau de la patrie, ils sont là depuis 15 jours. Eux c'est lui, c'est elle, c'est toi, c'est moi, c'est nous tous, toutes les classe confondues, toutes les tranches d'âge et les deux sexes. Un nouvel épisode s'ouvre, persévérons, car l'épopée tunisienne n'est pas encore finie... Résistance malgré des conditions très rudimentaires Hier, et durant la séance plénière, après quoi les résultats de vote quant aux pouvoirs publics et la question du règlement intérieur seront annoncés, des milliers de citoyens tunisiens, composante de la Société civile, des partis politiques, des listes indépendantes et surtout des sit-inneurs étaient face au siège de la Constituante où le sort de la patrie se jouait. Une kyrielle de tentes assiégeaient la muraille de l'Assemblée, toutes auréolées par les revendications populaires les plus élémentaires et affichant tout haut le drapeau tunisien. Les conditions, quoique très précaires et délicates, n'ont pas empêché nos jeunes et moins jeunes sit-inneurs à camper et résister au froid, à la pluie et la faim. Ces militants ont bravé le danger de la rue et ont arpenté tout le territoire pour être de nouveau là et crier NON à la nouvelle dictature que certains tentent de bâtir. Attaqués et violentés à plusieurs reprises par des malfrats et des énergumènes venus les agresser et les provoquer à plusieurs reprises surtout tard dans la nuit, ils demeurent là et défient quiconque qui tenteraient de les dissuader. Bardo I, portrait fidèle aux Kasbah I et II Ils les ont taxés de "fils à papa", de "gâtés pourris", d' "athées" et de "non croyants". Sans cesse comparés au deux premiers sit-in qui ont bousculé le cours de l'Histoire de la Tunisie après la Révolution, la Kasbah I et II, passée pour mythe, celui de Bardo a été tout de suite critiqué par une certaine tranche sociale qui s'est amusée à railler ce premier sit-in postélectoral sur les sites sociaux à savoir Facebook et Twitter. Que d'anecdotes et de faux clichés ont circulé essayant de ternir l'image de Bardo I ! Et pourtant, depuis la première séance au sein de l'Assemblée, les revendications étaient assez claires et nettes. Dans la rue, comme au sein de l'Assemblée d'ailleurs, les débats allaient bon train et le ton est à la discorde. Démocratie dites-vous ! Certes, mais quand ça débouche sur des insultes, des agressions et des intimidations, là ! il faudra dire STOP ! Deux camps se sont formés, deux rives adverses, l'une se dit Conservatrice et campe dans son entêtement fière d'être majoritaire et l'autre se dit Modernistes et tentant bien que mal de faire comprendre à l'adversaire que la Révolution n'a pas éclaté pour le problème de l'identité mais pour la dignité. Peine perdue ! Sur place, quel fut notre étonnement de voir que tous les présents hier étaient un grand groupe homogène séparés par les policiers pour faciliter la circulation rien d'autres. Que fut notre étonnement aussi de voir cette foule humaine, cette solidarité et ce partage des mêmes causes : faire tomber les masques, répondre aux demandes populaires, encenser la dignité et la pensée libre, une nouvelle Constitution respectueuse des droits humains. Autre particularité a attiré notre attention ; le sens de l'organisation qui nous rappelle les sit-in historiques de la Kasbah. Le groupe des sit-inneurs était bel et bien ordonné, quoique manquant de moyens et de logistiques. Il y avait quatre commissions : celle du sit-in, celle de la communication, une autre pour l'ordre et une dernière pour la logistique. Les responsables des commissions portaient des badges et s'adressaient aux citoyens et aux médias venant causer et débattre avec eux. D'ailleurs voici quelques témoignages révélateurs. A ceux qui se méprennent de la raison d'être du Bardo I, lisez et jugez par vous-même. Les garde-fous de la Révolution sur le pied de guerre Seiffeddine El Gharbi, 22 ans (étudiant à l'Ecole des Beaux-arts de Tunis et membre de l'association Défi artistique, Citoyenneté et Démocratie) Il était penché sur une banderole et en train de rédiger un message à côté duquel était dessiné le portrait du martyr Farhat Hached, nous l'avons abordé : "Nous sommes là depuis une semaine. Nous avons installé nos tentes pour défendre la cause des habitants de tous les quartiers populaires, leur donner l'occasion d'être sur la scène publique après qu'ils aient été marginalisés durant l'ancienne dictature, celle "en marche" et que nous combattrons ! On en profite par le biais de ce sit-in pour dire que les arts exhortent les peuples vers le progrès et la vie digne. Nous avons été agressés à plusieurs reprises par des ados, "spectateurs de foot" et très très jeunes… Pourvu que l'on ne leur pourrisse pas les têtes…" • Mohamed Ali El Mlayhi, 35 ans, chômeur, ville de Béjà, Nefza. Nous nous sommes approchés de lui alors qu'il brandissait le slogan : "Employabilité, liberté et dignité citoyenne" : "On est un groupe de 80 personnes venus il y a deux jours pour revendiquer notre droit au travail. Nous faisions partie des sit-inneurs de la Kasbah I et II. Nos revendications sont les mêmes parce que presqu'un an après, rien n'a changé. Pis encore, le niveau de vie est précarisé alors que l'employabilité est inexistante !". • Mohamed Saïdi, 28 ans, ville de Gafsa et appartenant aux militants du bassin minier. "Nous sommes là depuis 13 jours pour dénoncer les fraudes qui ont eu lieu durant les concours lancés dernièrement pour intégrer le bassin minier de Gafsa. Il faudrait que ce nouveau gouvernement prenne en compte les cas sociaux et mettent en priorité les familles les plus démunies à Gafsa. J'ai fait partie des deux premiers sit-in de la Kasbah. Mais je vois que les choses ont beaucoup évolué. Les gens sont plus conscients qu'auparavant et les revendications sont les mêmes pour tous. Aujourd'hui, Bardo I montre l'exemple malgré tout ce qu'on dit sur nous. Nous crions toujours pour le droit au travail et à la vie digne. Je m'adresse à ceux qui prétendent que Bardo I est un sit-in politisé, je réponds : Détrompez-vous ! On vous manipule ! Nous sommes là et nous ne présentons aucun parti ni idéologie ni courant politique ou religieux !" • Malek Magrni (Responsable de la commission communication du sit-in Bardo I), 28 ans, maîtrisard en Communication et chômeur, ville de Monastir) "Le sit-in Bardo I est bien organisé malgré le manque de moyens, de ressources et de logistiques. Nous œuvrons depuis sept jours avec les moyens du bord et on attend le soutien de certains organismes. J'aimerais lancer un message à tous ceux qui veulent ternir l'image du sit-in : c'est honteux de dire ça de nous. On n'était un seul corps. Aujourd'hui, des forces occultes sèment la discorde et nous ont séparés en deux camps adverses qui se haïssent et se lancent des menaces. Nous sommes les mêmes personnes, vous pouvez vérifiez par vous-même la nature des gens qui sont là. Les mêmes têtes des Kasbah I et II. Ces gens qui sont là luttent depuis des générations, depuis la colonisation pour l'amour de cette patrie. Qu'on vienne aujourd'hui les taxer des " fils à papa " et de "koffars" c'est honteux !!". Demain est un autre jour…