L'aéroport de Djerba ressemblait, en ce lundi après midi, à un espace illimité, impersonnel, lustré d'un marbre sans âme. Triste pour une fin de réveillon. Le flux était d'ailleurs saccadé: vol à 18h, un autre à 19h, un autre à 20h30. Petites correspondances peut-être bien programmées comme au bon vieux temps quand les touristes et les Tunisiens allaient fêter leur réveillon dans le sud transitant nécessairement quand même par l'épicentre: Djerba la douce, Djerba devenue, lundi soir, distante, sans effusion, sans chaleur humaine, sans hospitalité. On peut comprendre que l'âme puisse faillir dans l'un des aéroports du type mastodonte. Mais à Djerba où la ferveur toute naturelle engendre une sorte de chaleur indicible, un courant d'air glacé sifflait comme pour annoncer que la nuit serait longue et l'attente interminable. Beaucoup de Tunisiens, peu de touristes : faut-il remercier la providence que les étrangers ne fussent pas nombreux et que cela ne se serait pas su à l'étranger, surtout avec l'état de déliquescence du tourisme ? Mais il y avait des jeunes et des vieux. Il y avait quelques nourrissons et quelques enfants. Au programme, sur Tunis, il y avait un retour à 18h ; puis un autre à 19h ; et puis un troisième à 20h. Sourire contrarié des employés de « Tunisie Express » au moment des bagages : « il y aura un léger retard ». De temps à autre, le micro émettait des paroles inaudibles en arabe et défectueuses en français pour annoncer avec amabilité les retards ( à la pelle) et pour s'en excuser. Les tableaux affichent tous invariablement l'horaire prévu de l'arrivée puis l'horaire décalé. Si les 18h s'en sortent avec deux heures de retard, les 19h et les 20h sont priés de prendre leur mal en patience : ils prendront l'avion à 23 heures….A peine 5 et 4 heures de retard. Entre-temps, hospitalité et générosité obligent, on vous annonce que votre fiche d'embarquement vous donne droit à un sandwich et un soda gratuits à la buvette. C'est gentil. Et, c'est à partir de là que commence la thérapie douce. Dans ce genre de situation nous sommes tous crédules et naïfs quand le micro de l'aéroport parle. Ce n'est plus 23 heures, mais 23 heures 30'. A peine si les passagers ne se sont pas retenus d'applaudir. Il faut en effet toujours réfléchir comme l'un des héros paumés d'Albert Camus dans l'exil et le Royaume : un mur tombe sur ses huit enfants alignés pour manger leur goûter ( au pied du mur) quatre d'entre eux meurent mais le père loue la providence qu'il lui en reste encore quatre ! Toutes les couleurs ça s'ingurgite à petites doses ou à doses homéopathiques, si vous voulez ! Entre-temps notre vaillante police des frontières appelle les passagers à franchir le rubicon : Quelle conscience professionnelle : fouille systématique dans les règles : tout dans les corbeilles ; enlever vestes et ceintures et si, par malheur, il y a un dentier en métal ( argent, or etc…) le démonter lui aussi. Ce petit appareil qui fait « Zen » est le seul qui ne souffre guère de fuseaux horaires. Mais au fait où allons-nous ? à Tunis…Ah bon à Tunis… Oui mais la fouille est nécessaire, pas parce qu'on monte dans un avion. Mais parce que chacun doit faire son travail : douane et police des frontières (bonjour aux nouvelles frontières Djerba-Tunis) et même les passagers, qu'on suspecte toujours de vouloir passer quelques chose, et qui doivent eux aussi faire leur travail de « citoyens » ( et de touristes) disciplinés et sagement fouillés. Ça y est, maintenant, plus moyen de rebrousser chemin, ni d'espérer aller vagabonder à Djerba : les passagers sont dans la salle d'embarquement. Dehors sur les pistes un va-et-vient de voitures allumant leurs gyrophares, avec des bus qui vont et qui reviennent ( vides)…. Branle-bas qui dépasse la petite jujeote des profanes…Les avions de « Nouvel air » sont cloués au sol ; deux ou trois autres de Tunisair aussi. Transport aérien dites-vous ? Le ciel peut attendre. Nouvel air justement : le sit-in des hôtesses et de beaucoup d'employés dure déjà depuis quelques jours… Ils campent dans une allée de l'étage supérieur de l'aéroport et affichent des banderoles et des slogans du type ! « Nouvel Air au dessus de la loi ». Entre-temps, dans la salle d'embarquement on commence à s'énerver. Il y a même quelques petites escarmouches. Ponctuel, le préposé à la radio informe gentiment que le décollage se fera à 1 heure du matin… » Oh là ! » « Fichtre alors »… Et ce fut un manège d'onomatopées. Un moment, des passagers demandent à parler au chef d'escale. Personne n'aurait souhaité être à sa place. Il s'amène quand même, muni de son gilet pare-balles et fait face à des protestations trop véhémentes et frisant l'insulte. C'est que l'argument avancé ne convainc guère : « panne technique ». Panne de trois avions à la fois ? Celui du 18h, celui du 19h et celui du 20h ? Il réussit à se dérober et il a bien fait… Décidément on s'adapte à tout. Les uns s'arrangent comme ils peuvent pour piquer un petit somme. Les autres s'assoient par terre…Puis heureusement qu'il y a l'iphone et la musique : parfois on dandine… Tout d'un coup, on regarde à travers la baie vitrée. La piste s'illumine. Les camions à bagages et les bus rallument leurs gyrophares. Un avion – le sauveur – arrive comme un ouragan. Il se met en piste. Le chef s'escale revient dans la salle d'embarquement, manipule un ordinateur pour décréter la délivrance des passagers. Ça y est le ciel est dégagé. A deux heures trente du matin, soit 7 heures 30 minutes de plus et c'est fini, 7 heures et de temps : vous appelez cela retard ? Non c'est du temps gagné. Les passagers traînant la patte, mais prêts à faire la bise même aux préposés à la manutention, sont dans le mastodonte. Décollage à 2h35', arrivée dans 45 minutes à Tunis. « Rattachez vos ceintures, ne fumez pas, excusez-nous pour ce léger contre-temps » et vous dormirez tous bien au chaud chez vous ! A Tunis, il pleut. Là c'est un autre cinéma qui se déploie ; les taxis face à l'aubaine providentielle. Après le calvaire au ciel, ce sera la calvaire de ces petites caisses jaunes, terribles prédateurs comme le sont d'ailleurs devenus les aigles du ciel alors que la belle gazelle nationale exsangue et ruinée, s'essouffle parce qu'il n'y a plus de lièvres à courir. Cela dit, on serait rentré à Tunis a dos de chameau et bien avant le 727 Reportage Raouf KHALSI
Pourquoi ce retard ? Les explications des « Tunisair Express ». Nous avons contacté Mohamed Ali Tlili directeur général adjoint de Tunisair Express, celle qui assure les liaisons Djerba-Tunis. Il nous branche sur Madame Ibtissem Ounaïes. Gentiment elle nous explique que « l'avion qui devait décoller de Djerba à 19hq a connu une panne technique. La Direction de Tunisair Express a alors demandé à Tunisair de lui affréter un avion. Celui-ci tomba à son tour en panne. Cela a eu selon ses termes « un effet boule de neige ». De guerre lasse, nous demandâmes à Tunisair de nous affréter un avion ( un boeing 727) qui prendrait les passagers de deux vols. Cet avion de libre ne put être donc affrété qu'au prix de ce retard dont j'en conviens qu'il est énorme. Nous nous en excusons auprès de nos passagers ». En somme, c'est ce qui s'appelle faire deux en un! R.K PS: Des rumeurs ont circulé sur une prétendue grève du commandant du 19h et des membres de l'équipage. Rumeurs non vérifiées encore. tiens tiens ? ex passager