“Si vous me disiez que toutes les revendications sociales sont légitimes, je vous dirais que non” Le gouvernement veut, aujourd'hui, mettre fin à l'économie de rente qui a sévi du temps de l'ancienne dictature Le portefeuille ministériel au sein du gouvernement Jébali, lui a valu la responsabilité d'avoir un droit de regard sur l'administration tunisienne qui, jusque-là, saigne à blanc. Le ministère de la Réforme administrative qu'il chapeaute est en quelque sorte le gardien du temple de l'argent du contribuable. Le nôtre. Mohammed Abbou s'apprête à relever le défi, même si la tâche est loin d'être une sinécure. Monsieur le ministre nous en parle. Entre deux rendez-vous, il nous en accorde un et là encore on parle à l'homme qui a fait des droits de l'Homme un combat de tous les jours, l'avocat, le militant CPRiste de première heure qui ne l'empêchera pas de garder intactes ses anciennes amitiés et d'en avoir quelque peu la nostalgie. Le Temps : Il y a quelque temps, vous étiez du côté des plus démunis et vous avez défendu le droit des uns et des autres à manifester. Aujourd'hui vous faites parti d'un gouvernement qui appelle à mettre fin aux manifestations. Qu'en dites-vous ? - Mohamed Abbou : Rien n'a changé en fait dans ma position qui est, par ailleurs, celle de mon parti le CPR. Nous avons toujours été du côté des plus démunis et nous nous sommes engagés à rétablir dans leurs droits ceux qui en sont privés. Il était question de revendications politiques d'une population avide de libertés et de vie digne. Maintenant si vous me dites que toutes les revendications sont légitimes je vous dirais que non. Car il y a ceux qui décident de manifester pour avoir des augmentations salariales et là je ne suis pas sûr que c'est le bon moment car la situation actuelle du pays requiert qu'on se remette au travail et qu'on se serre les coudes. Je ne peux pas soutenir des manifestations dont la conséquence directe est de mettre des bâtons dans les roues au redémarrage des rouages de l'économie nationale. • Quelles sont les attributions du ministère que vous chapeautez ? - La réforme administrative. Le gouvernement veut aujourd'hui mettre fin à l'économie de rente qui a sévi du temps de l'ancienne dictature. On fait fi également de toutes les pratiques de mauvaise gouvernance dans la gestion de l'argent public qu'on dilapidait à tort et à travers. Il sera question d'équité, par ailleurs, dans le recrutement des jeunes diplômés où les critères seront bien entendu la compétence mais aussi la situation sociale des postulants à l'emploi. • Est-ce qu'on demandera des comptes aux ministres et aux hauts fonctionnaires de l'Etat quant aux biens dont ils disposent ? Cela a été l'objet d'une circulaire où le Premier ministre rappelle aux membres du gouvernement qu'ils ont des comptes à rendre et que la cours des comptes recensera leurs biens et ceux de leurs proches avant et après avoir occupé le poste ministériel. Les magistrats et bien d'autres fonctionnaires de l'Etat sont concernés par cette circulaire qui a existé du temps de Bourguiba depuis le 10 avril 1987 et a été délaissée du temps de l'ancienne dictature. C'est bon signe mais je crois que ce n'est pas suffisant, car il faut penser à d'autres mesures qui redonneront leurs indépendances et les prérogatives qui sont dévolues aux comités de contrôle dans les administrations publiques. • Qu'est-ce que vous comptez faire à votre niveau, pour mettre en pratique ce que vous dites « gérer à bon escient l'argent public » ? - Justement, il faut commencer par soi-même. De mon côté j'ai choisi de ne disposer que d'une seule voiture que je conduis moi-même sans recourir à un chauffeur alors que la fonction que j'occupe me permet d'utiliser deux voitures et de profiter des services de deux chauffeurs et de deux aides-ménagères chez moi. Un ministre touche 4500 DT et a le droit à 640 litres de carburant par mois. Un secrétaire d'Etat perçoit 3400 DT par mois. Je crois que mes collègues et moi feront le geste de renoncer à certains privilèges, histoire de penser aux franges de la société privée des droits les plus élémentaires à une vie digne. Au cours de cette semaine j'ai effectué une visite inopinée au garage du ministère là où j'ai découvert que l'argent public est mal géré ne serait-ce que dans l'entretien du parc automobile. Je crois qu'il y a beaucoup de travail à faire pour amener les employés de l'Etat à prendre conscience du fait qu'il s'agit de l'argent du contribuable qu'il faut gérer à bon escient. L'avenir de nos enfants en dépendra. • Que répondez-vous à ceux qui disent que le CPR bat de l'aile, aujourd'hui ? Croyez-vous que Abderraouf Ayadi pourra vraiment combler le vide laissé par Marzouki ? - Il est vrai que les remous provoqués au sein du CPR ont eu un impact sur l'unité du parti mais on a pu remédier à cela. Et contrairement à ce que prétendent certains, le CPR n'a pas délaissé sa base de militants. Il était question de prendre du recul pour s'organiser, préciser le qui fait quoi quant aux prises de décisions du parti. On excusera dans la foulée, les dérapages verbaux de certains militants dont Tahar Hmila qui est parmi les pionniers du parti. Indépendamment de la cause du problème survenu au sein du CPR, la réunion de dimanche dernier a permis de remettre les pendules à l'heure et la décision a été prise pour que Abderraouf Ayadi occupe le poste de secrétaire général du parti jusqu'à l'organisation des élections. Le règlement intérieur est par ailleurs adopté comme document de référence. • Si vous n'étiez pas ministre de la Réforme administrative quel ministère auriez-vous préféré ? - Même si c'était à refaire je choisirais le ministère de la Réforme administrative. Il est question pour moi d'un défi que je dois relever vis-à-vis de moi-même et du parti auquel j'appartiens. • Avant même que vous soyez appelé à ce poste, on vous croisait souvent du côté de la Kasbah, au barreau, voire même dans le paysage des cafés bon marché environnants ? Est-ce que vous avez la nostalgie de ces rencontres entre collègues et amis ? - Bien sûr que oui. Mais là avec le rythme de travail d'environ 11heures par jours je ne permets plus de m'attabler autour de cafés en la bonne compagnie de collègues ou d'amis. Je reporte cela au congé de la fin de semaine. Mona BEN GAMRA fafa