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Les portes de la liberté
Notes libres
Publié dans Le Temps le 08 - 02 - 2012

Par Hélé Béji - La révolution a ouvert toutes grandes les portes de la liberté. La démocratie est à l'air libre, et la liberté connaît des turbulences où la force des institutions, considérablement affaiblie par la défiance résultant des usages qu'en a fait l'ancien régime, a abaissé dans l'esprit des Tunisiens le respect pour toute forme d'institution, pour toute décision gouvernementale, pour l'Etat lui-même.
Après que la rue eut chassé le personnel politique précédent, elle se complaît dans un sentiment de toute-puissance qui la pousse à poursuive son œuvre encore plus avant, selon ses désirs, et à intervenir ici ou là dans la marche de l'exécutif. Nous sommes entrés dans une forme de démocratie directe, ou semi-directe qui va agiter encore longtemps le vaisseau de l'Etat, dans une société où le calme plat a désormais fait place à une houle tempétueuse sur laquelle aucun gouvernail ne semble avoir de prise. L'Etat tunisien est loin d'être arrivé à bon port, et avant qu'il ne retrouve la fluidité d'un courant tranquille et un vent apaisé, il devra naviguer dans un climat d'hostilité et d'indocilité chroniques. Tout le problème est de savoir comment il peut s'adapter, et avec quelle habileté il va fendre ou contourner les vagues qui surgissent à tribord ou à bâbord sans chavirer. Il est difficile de réguler ces forces multiples qui ont pris désormais le dessus en renversant les rapports de domination, et en donnant aux citoyens une autorité quasi illimitée sur ses représentants, et un pouvoir d'intimidation morale et intellectuelle sur chaque membre de l'exécutif.
L'Etat despotique avait huilé sa machine grâce à la facilité avec laquelle les différentes classes lui obéissaient. L'Etat démocratique devra apprendre à absorber dans ses rouages grippés les résistances et les coups de semonce qui quotidiennement vont freiner, orienter ou pousser ses actions dans un sens qui ne sera pas toujours celui choisi par les représentants du peuple.
Il apparaît ici que la démocratie tunisienne ne pourra pas tabler seulement sur les voix de la majorité élue, maintenant que les courants sociaux réfractaires dépassent, dans leur puissance d'expression, les tensions entre la minorité et la majorité siégeant à la Constituante. La coalition gouvernementale découvre que sa victoire électorale ne lui donne pas, comme elle l'avait cru, cette liberté d'exécution qui suit logiquement en démocratie les lois votées par un parlement.
Le cas de figure est nouveau, et l'esprit révolutionnaire, qui a semé son agitation chez tous les administrés, leur donne une participation potentielle qui déborde largement le cadre des institutions elles-mêmes. L'Etat n'est plus dans l'Etat, il est désormais partout.Le Parlement n'est plus dans le Parlement, il est sur les places, les boulevards et les trottoirs, et les ministres découvrent qu'ils n'ont pas seulement leurs ministères à gérer, mais qu'ils ont aussi affaire à des centaines de ministres du peuple avec qui ils parlementent dans leurs antichambres de cabinet ou dans les halls d'entrée de leur bâtiment, et qui ont pris place autour de leurs fauteuils capitonnés, non comme des ombres, mais comme des porte-voix bruyants, relayés par une presse d'autant plus rebelle qu'elle s'est délivrée en quelques mois de plusieurs décennies de mutisme. La longue nuit de silence fait désormais place à un tohu-bohu dont les oreilles gouvernementales sont chaque jour assaillies.
Il va être difficile, pour les ministres, de se concentrer sur ce fond diablement sonore. Chaque citoyen dit « l'Etat c'est moi », en pensant « le pouvoir c'est moi », pour montrer que le mécontentement ne s'arrête pas au seul verdict des urnes, et peut renverser même ceux qu'il a élus.
Cette sédition ne touche pas que les ministères, elle touche toutes les grandes institutions de la République, les universités, les entreprises, les syndicats, les corps de métier, etc. C'est sur les universités que je m'arrêterai, car c'est là que depuis le mois de décembre, un type d'extrémisme politique, poussant la logique des droits culturels vers l'excès d'ostentation religieuse, s'est érigé en système de direction de conscience sur les citoyens. Il a désormais investi les facultés, et à la Manouba il a mis des milliers d'étudiants à la merci de quelques mormons musulmans, décidés à étendre leurs règles de vie et de pensée, leurs codes vestimentaires et leurs rythmes de prière dans les laboratoires du savoir. La question se pose désormais du statut scientifique de la foi, face à l'autorité du savoir et à la légitimité du savant.
La démocratie tunisienne se trouve confrontée à cette difficulté que le prosélytisme veut une reconnaissance académique. Des chaires de prédication et de vertu, des cabbales cléricales s'érigent au sein même des amphis d'étudiants. Devant la difficulté de réprimer aujourd'hui toute liberté, comment l'Etat va-t-il s'y prendre pour calmer les ardeurs de ces zélateurs exaltés, et protéger l'atmosphère de concentration qu'exige le temple universitaire pour former les jeunes esprits ? Comment les professeurs vont-ils défendre la sérénité d'étudier, sans laquelle aucun savoir rigoureux ne peut être assimilé? Ceux-ci sont désormais contraints de s'empoigner avec des récalcitrants à qui, avant même de faire cours, il faut arracher le droit d'enseigner, eux pour qui le monde des livres, des thèses, des bibliothèques est un savoir vain en comparaison du seul Livre qui possède la totalité des savoirs irréfutables. Ayant déjà tout appris, ils sont dispensés d'apprendre, et ils se sont donné pour mission de convertir les étudiants à cet axiome que le savoir est une activité « religieusement incorrecte » ; en prenant place au cœur du campus et dans les bureaux des enseignants, ils introduisent dans l'université un autodafé symbolique de toutes les sciences accumulées par l'université tunisienne, et par la communauté des savants depuis que l'écriture existe.
Ils sermonnent avec cette supériorité aveugle que la superstition accorde à l'ignorance. L'abus que le fanatique fait de son droit religieux s'institue comme le référent premier auquel doivent se soumettre ceux qui n'enseignent pas la science divine. Et les professeurs sont contraints de s'épuiser dans des dialogues de sourds pour arracher le simple droit de faire passer leurs examens dans le calme. Les droits du savoir et les droits de l'ignorance sont désormais à égalité dans le champ public. La démocratie doit supporter les excès licencieux et les valeurs obtuses de chacun. Le savoir ne peut plus prétendre à un statut spécifique, puisque toute toquade croit pouvoir être investie de la même autorité qu'une œuvre bâtie patiemment durant de longues années d'études et de veilles. Les vieilles démocraties non plus ne sont pas à l'abri de cette tendance à abandonner le débat social au galimatias des opinions oiseuses.
Nous voyons donc en Tunisie se dessiner de nouveaux comportements qui, atrophiés par les interdits antérieurs, en particulier ceux qui frappaient le prosélytisme religieux, veulent jouir sans contrainte de toutes leurs énergies accumulées dans la clandestinité, et, après avoir vécu dans la rétractation permanente, sont aujourd'hui dilatés par une logique devant laquelle rien ne borne la jouissance illimitée de leurs désirs. Les libertés se confondent avec les appétits, dans une sorte de compensation presque mécanique. On se rattrape d'une obéissance trop parfaite par un besoin de désobéissance systématique. Avec la tyrannie, la société tunisienne a vaincu non seulement la peur de l'autorité, mais le consentement à toute autorité, si légitime ou honorable qu'elle soit.
Désormais, ces nouvelles passions démocratiques peuvent aller beaucoup plus loin. Mais qui peut condamner leurs dérives sans passer pour un nouveau despote ? Les Tunisiens se trouvent devant un casse-tête, aussi bien les politiques que les activistes sociaux ou les acteurs civils. Ainsi, dans cette nouvelle atmosphère où les tensions ont désormais libre cours, où les conflits ne sont plus étouffés, où les opinions contradictoires ne sont plus interdites, où les critiques ne sont plus des crimes, je me pose une question que je ne parviens pas à résoudre : comment libérer les consciences tout en les protégeant elles-mêmes et autrui de leurs abus ? Comment traiter les pulsions quand elles deviennent manifestement un trouble à l'ordre public ? Comment réguler les formes de pensée violentes, radicales, sectaires lorsque, par le jeu naturel de la démocratie, elles occupent un champ de vision beaucoup plus important que celui qu'elles ont en réalité sur le corps social, et qu'elles ébranlent celui-ci par une stratégie d'amplification de leurs slogans, même quand ils sont minoritaires et choquent le bon sens des citoyens ? On sait que quelques extrémistes peuvent par leurs mots d'ordre libérer une brutalité qui se communique à la foule ou la plonge dans l'anxiété.
Il y a donc, dans l'empiètement des libertés religieuses sur les mœurs sociales ou académiques, une nouvelle forme de domination qui, au nom de la démocratie, exerce une pression morale et une menace sur la vie quotidienne. Elle vient occuper le terrain laissé vacant par l'ancien autoritarisme d'Etat, et elle use à son tour du système insidieux de la sanction, de la culpabilité et du châtiment, avec cette peur archaïque que crée chez le citoyen l'œil omniscient de l'Invisible.


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