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Renaissance ou contre-révolution ?
Notes libres - Une autre Tunisie
Publié dans Le Temps le 03 - 11 - 2011


(suite et fin)
Par Hélé Béji - Il y a une incapacité de la pensée actuelle à concevoir ce que pourrait être, à l'avenir, la « démocratie des autres », comme dit Amartya Sen. Le sectarisme d'un certain occidentalisme a fait plus de mal aux grandeurs de la culture européenne que toutes les formes de rébellion culturelle contre l'occident depuis la décolonisation. Le réflexe myope des Européens à chercher ailleurs que chez eux les causes de leurs malheurs sociaux, leur discrimination des étrangers, leur faiblesse d'imagination devant les voix lancinantes d'une culture méprisée, dont ils ne devinent pas qu'elle est aussi le fantôme persistant de leurs propres traditions mutilées,
l'incapacité d'accueillir ces résurgences avec nuance, d'y goûter un renouvellement de leur humanisme même, le dédain du « visage » de l'autre, comme dirait Lévinas, l'extinction des regards de la foule dans les grandes métropoles, l'accoutumance à la maltraitance, le commerce de plus en plus violent de l'autre, l'agressivité des rapports sociaux, encouragée par les calculs de la démocratie elle-même, la contagion d'une misanthropie irritée par la promiscuité, le stress professionnel, la discourtoisie morale des élites cultivées, le syndrome sécuritaire, etc., tout cela a fini en Europe dans la crise économique, dans la croisade guerrière des démocraties contre les régions en proie à des mutations sourdes que l'on veut enfanter au forceps de la surpuissance. Mais, par une loi que l'esprit du monde est seul capable d'inventer, la liberté renaît dans un des pays désignés comme étant ceux de l'Axe du Mal. La démocratie naît, contre toute attente, en Tunisie, par un soulèvement plébéien contre les préjugés de la démocratie impériale.
Les causes profondes de la victoire du mouvement Renaissance ne sont pas que liées à un demi-siècle d'hégémonie partisane dans les rouages de l'Etat national, dans un pays qui aurait dû être gouverné, dès le premier jour, selon les vieilles règles de sa civilité urbaine, bafouées par la rudesse de l'appareil politique. Elles ne sont pas que liées au bannissement du mouvement religieux, à la persécution de ses militants les plus stoïques, à la lutte contre les minorités libertaires, à la chasse des radicalismes violents qui, dans leur extrémisme, ont terni l'humanisme musulman lui-même. Elles ne sont pas seulement dues à l'attrait du mysticisme dans la conscience des Tunisiens, par opposition au matérialisme du bien-être et des bienfaits de la science. Elles ne sont pas seulement dues aux inégalités des égoïsmes de classe. Elles ne sont pas seulement tout cela. Au-delà, elles sont la conscience confuse d'un effondrement des modèles de progrès partout dans le monde, des prophéties de progrès qui ont effrité l'horizon dans les poussières d'un ciel vide et d'une terre sèche, sans avenir, dans l'étroitesse du jeu démocratique qui se grippe jusque dans les manœuvres des pays les plus avancés. La liberté en Tunisie est née non pas grâce aux progrès de la démocratie mondiale, mais contre ses ratés, ses abus, ses injustices, et ses méfaits.
Certes un certain protectorat démocratique ne veut pas lâcher prise, même quand trois révolutions l'ont vaincu, l'indépendance du 20 mars 1956, la révolution du 14 janvier 2011, et l'élection du 23 octobre 2011. Plus s'éloigne l'image du Protectorat, et plus le Protectorat fait grincer la manivelle obsolète de sa tutelle. Sermons, mises en garde, chantages, tout est bon pour rappeler son souvenir. Depuis les Croisades, on n'avait pas vu une telle victoire des Maures, menace pour les royaumes de la démocratie héréditaire ! A cette question qui les hante, à savoir si la révolution tunisienne a lancé sur la scène de l'histoire un djinn crachant un écran de fumée derrière lequel sortirait, par la force d'un million de talismans électoraux, un deus ex-machina clamant « Le roi est mort ! Vive le roi des cieux ! », la réponse est non.
Il apparaît désormais que la liberté n'a pas une origine génétique culturelle, exclusive de la société occidentale. Le débat public, la discussion des membres du groupe, même les plus frustes, sont aussi vieilles que l'histoire de l'humanité. L'anthropologie nous l'a rapportée sous de nombreuses formes. Non, le plus humble des parias de la société, le plus marginal, la plus indigente des femmes ilotes a dans le fond de ses rêveries informes, la forme innée de la liberté. N'importe quel Tunisien aujourd'hui, de ceux qui ont voté tradition ou de ceux qui ont voté modernisme, de ceux qui se réclament de l'Islam ou de ceux qui s'en distinguent, de ceux qui invoquent Dieu ou de ceux qui s'en écartent, de ceux qui prient le ciel ou de ceux qui le fixent dans la gouache de leur toile, ont une seule et même idée de la liberté : celle née chez eux, hic et nunc, et non ailleurs. Le legs du 14 janvier les a fait passer du même côté, quelles que soient leurs divergences, leurs manières de vivre et leurs convictions. Nous n'avons pas vécu une révolution religieuse, il est assez peu probable que nous subissions une démocratie religieuse.
L'élection d'un pays musulman au pays mondial de la liberté fait que la liberté n'est pas un verset inaltérable, immaculé. La liberté « occidentale », elle non-plus, n'est pas un Evangile, encore moins un Coran. La démocratie tunisienne ne sera ni turque, ni iranienne, ni française, ni américaine. Elle ne sera pas même islamiste, elle sera…tunisienne. Certes, le fait que les Tunisiens ont voté pour le parti de la Renaissance désarme les modernistes et les ébranle comme un échec de la révolution libertaire, areligieuse, anti-identitaire qu'a été le 14 janvier. Mais dès l'instant où ces libertés ont quitté leurs chrysalides moirées, piquées de slogans romantiques, dès l'instant où elles entrent dans l'habit austère et solennel des institutions de l'Etat, il leur faut une assise populaire large fondée sur l'adhésion subjective. Et celle-ci a trouvé dans la religion – mais quelle religion ? Islam, culture, mémoire, conscience civile, piété populaire, usages familiaux, conscience morale, sentiment patriotique ? Ou tout cela à la fois ? Donc, l'adhésion populaire a trouvé dans ce creuset ineffable l'assise de sa paix civile. Le vote des citoyens est toujours un mystère, c'est une sorte d'ordre intime qui se fait dans le cœur de l'isoloir, et en cela il est sacré. La religion des urnes a dissous la religion de chacun dans un texte souverain dont le résultat est, quoiqu'il en soit, le triomphe du libre-arbitre, le vote, devenu une valeur plus haute que la confession. La liberté n'est pas seulement la vague enivrante qui nous emporte sur l'océan du monde, elle est le vaisseau qui nous conduit à bon port, pour mettre le pied sur la terre ferme de nos vergers et de nos demeures. Ceux qui ont su faire siffler les amarres du vaisseau sur le port et jeter l'ancre sur la rive, c'est le parti Renaissance. Les modernistes n'ont pas assez noué leurs cordes, le vaisseau tangue encore, ballotté sur les flots agités, sans ligne de terre visible, sans gouvernail.
Qu'ils entrent en eux-mêmes, qu'ils cherchent ce qui leur a manqué dans la manière, l'art, la modestie, le langage des gens simples ? Qu'ils sentent comment les autres les ont perçus, sous une apparence d'aménité froide, de sourire sermonneur, de distraction pressée, de condescendance primesautière ou exaltée, de supériorité mal dissimulée. Qu'ils brisent cette apparence, car ils ne sont pas comme ça, ils sont beaucoup mieux que ça. Ils sont généreux, sensibles, cultivés, civilisés. Qu'ils ne répondent pas aux risques d'obscurantisme par d'autres sectarismes. Qu'ils tentent de déchiffrer les signes annonciateurs d'une modernité encore inédite dans l'étrange réalité qui les offusque et qui les brusque. Qu'ils ne répondent pas à la langue des clercs par des clichés usés, par un galimatias d'opinions bâclées, juste bons à servir la forfanterie des médias.
Les religieux, avec leurs accents d'ayatollahs ombrageux ou patelins, ont aussi leurs défauts et leurs malices, qu'il faudra examiner à la loupe. Mais ils sont les nouveaux vicaires du peuple. Et toute la hargne vipérine contre leur machiavélisme ou leur duplicité, dans le déchaînement des réseaux sociaux, n'a eu qu'un résultat spectaculaire : le plébiscite populaire. Aujourd'hui, l'impératif démocratique est leur légitimation, et leur serment. Il sera toujours temps, au regard de leurs actions, de leur dresser un procès en félonie. Mais jusque là, on n'en pas le droit. Si demain leurs actes manquent à leurs promesses, alors, n'ayant pas été élus par une ordonnance de droit divin, mais par le sceau d'un doigt humain, ils seront soumis au verdict des citoyens. Et c'est le verdict du peuple qui, à la prochaine bataille électorale, dans le grand amphithéâtre d'hommes et de femmes rassemblés, prononcera la sentence de son dernier jugement.
Hélé Béji
1er novembre 2011
sihem [email protected]
daass [email protected]


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