De notre correspondant permanent à Paris Zine Elabidine Hamda - Le Collectif Culture Création Citoyenneté (3C - France) a lancé, avec d'autres associations de Tunisiens, installées dans d'autres pays européens, un manifeste des binationaux qui lance une sorte de cri du cœur. Devant le sentiment d'abandon et de frustration, nombre d'associations et de personnalités se démènent depuis l'avènement de la révolution tunisienne pour faire aboutir leurs revendications. Partant d'un constat objectif sur l'état de l'immigration tunisienne en Europe, ces acteurs de la société civile rappellent la contribution des Tunisiens résidant à l'étranger à l'effort national depuis les années 1970. En effet, selon le Bureau International du Travail (Genève), le nombre des travailleurs tunisiens immigrés a plus que doublé en deux décennies passant de 437 000 migrants en 1987 à plus d'un million en 2008. Il a même plus que triplé en 30 ans (321 000 en 1977). L'OTE estime le nombre de la seule « diaspora» scientifique tunisienne à l'étranger à 50 000 personnes, soit 9,1 % des travailleurs résidant à l'étranger. Selon une étude de l'OCDE, le nombre des médecins tunisiens émigrés serait de 2 415 médecins. Les transferts en devise des immigrés (évalués à 2904 millions de dinars en 2010,selon les chiffres officiels) représentent plus de 5% du PIB (77,5 % des recettes touristiques) et 21,8 % de l'épargne nationale (10 068 MDT). Au cours de la dernière décennie, les transferts des économies du travail à l'étranger couvraient à eux seuls environ 2/3 du déficit des transactions courantes du pays (hors revenu du travail), alors que jusqu'au milieu des années 90, ce taux dépassait rarement 50 %». Se basant sur cet état de faits, le Manifeste des binationaux exprime la volonté de ses signataires à défendre « une Deuxième République moderne et attachée à la conquête de nouveaux droits, à la multi-culturalité et à la fraternité avec tous les peuples de la terre. » Suite à l'avancée durant les dernières élections de l'Assemblée nationale constituante, les communautés des Tunisiens à l'étranger ont pu bénéficier du droit de vote et du droit à être représentés. Les Tunisiens, issus des différentes générations (premiers arrivants et leurs descendances) et qui ont opté pour la double nationalité, se sentent aujourd'hui visés. « Ils sont suspectés et assignés à répondre à la question- problématique pour certains- du choix exclusif et excluant de l'une ou de l'autre appartenance. » Au nom de la démocratie, ils s'insurgent contre l'exclusion et les mesures discriminatoires à leur encontre dans le champ de la politique et de la représentation. Le manifeste ajoute : « L'adoption par la Constituante, nouvellement élue avec une majorité islamiste, de l'article 8 de la loi organisant les pouvoirs publics, traduit un choix réactionnaire. En effet, ce dernier rejette les Tunisiens binationaux, leurs enfants et des générations entières de Tunisien(ne)s né(e)s de mariages mixtes. La Tunisie se prive de l'apport d'une partie de ses talents, présents dans toutes les parties du monde. » Les signataires craignent les dérives qui peuvent amener le rejet d'une « partie importante de la population tunisienne résidant à l'étranger, vivant de manière positive sa double appartenance et accordant un attachement profond aux avancées démocratiques en Tunisie. » Dans leur manifeste, les binationaux, qui s'ouvrent aux autres compatriotes qui n'ont pas fait le même choix, revendiquent leur « attachement aux principes d'égalité de traitement de tous les citoyens Tunisiens, leur engagement pour une citoyenneté pleine et entière ici et là bas et leur refus de toutes les formes de discriminations et de déni des droits, à tout citoyen tunisien partout où il se trouve. » ils expriment leur « désaccord profond avec les arguments nationalistes, de gauche ou de droite, qui nient l'autre. » Ils refusent d'être considérés comme « la cinquième colonne » ou comme des agents de l'influence étrangère, ou encore comme des dangers pour la nation, sa culture et son « authenticité ». Ils appellent enfin leurs représentants à l'Assemblée constituante à « défendre [leurs] intérêts moraux, politiques, culturels et spécifiques », et à « laisser au peuple le choix de ses représentants, aussi bien nationaux que binationaux, et être à l'écoute des acteurs de la société civile vivant à l'étranger, qui sont à même de défendre leurs intérêts et de promouvoir une autre image de l'immigration tunisienne à l'étranger. » Il s'agit aussi par ce manifeste d'affirmer l'attachement des signataires « à la déclaration universelle des droits de l'homme, en veillant à son application, dans les différentes propositions de lois qui [les] concernent, en tant que partie intégrante du peuple tunisien » qui refuse «tous les replis identitaires et toutes les exclusions, ici et là bas. » Ce manifeste est signé par une cinquantaine de personnalités indépendantes de France, de Suisse et de Suède et par des associations basées en France (AIDDA, Collectif 3C, Collectif Citoyen, Tunisie Culture, Démocratie et Veille Citoyenne (DVC), la Voix des Tunisiens en France, Association Equilibre et Partage, Association de défense des Binationaux (ADEBNA).)