Notre professeur d'histoire-géo à Sadiki était aussi efficace comme prof que méprisant à l'endroit de sa population d'élèves qu'il gérait comme un troupeau. Il fallait avant d'entrer dans sa classe se mettre en rang parfaitement alignés, les bras croisés et les visages sans expression. Il commence par inspecter les tignasses, les tabliers puis enfin les godasses, avant de nous autoriser à pénétrer dans la salle. Ce jour-là, notre copain Abdellaoui, de condition très modeste, s'était défait de ses chaussures ricanantes tout au long de l'année pour les remplacer par des espadrilles très bon marché. L'événement n'a pas échappé à l'inspection quotidienne du prof et de héler le pauvre élève, de le moquer et de l'interroger, poussant son mauvais humour jusqu'à l'insulte, en criant dans un gros rire : « Eh bien Abdellaoui ! De quel étal as- tu pu chaparder ce bijou d'espadrilles ?... » Et de nous signifier d'un geste l'autorisation de pénétrer dans la classe. Personne ne bougeait. « Entrez donc, mais qu'attendez-vous ? ». Nous restions immobiles parfaitement serrés, indifférents à son ordre. « Mais entrez donc, bon sang ! Je n'ai rien dit à Abdellaoui, je n'ai fait que plaisanter… » Il vient d'avouer son forfait, avons-nous pensé comme dans une seule tête, et de décider de boycotter la classe sans nous consulter le moins du monde, ni par un signe, ni par un mouvement, ni par le moindre bruit venant de l'un ou de l'autre des habituels meneurs. Nous avons écopé, quand le Proviseur est venu au secours de ce prof, de trois jours de renvoi collectif. Bien plus tard, Abdellaoui est devenu professeur d'arabe à la Sorbonne.