Ce n'est pas une mince affaire : lorsqu'Ali Laârayedh, ministre de l'Intérieur, déclare sur les colonnes du « Monde », qu'on va droit vers un affrontement avec les Salafistes, cela veut dire que c'est très sérieux et que ceux qui étaient au nombre de 4000 (les Salafistes), au 14 janvier 2011, pour devenir 9500, aujourd'hui, représentent une menace pour les équilibres sociaux et confessionnels du pays, mais qu'en plus, ils sont en train de discréditer Ennahdha. Il paraît que Cheikh Rached, lui-même délégitimé aux yeux de quelques fidèles disciples – qu'ils soient parmi les colombes ou parmi les faucons – ne maîtrise plus vraiment la situation. Le pragmatisme qu'il prône avec l'échappatoire turque fait face à l'ennemi irréductible, qu'est le dogme obscurantiste (au nom d'une Chariaâ dont personne ne connaît la réelle quintessence) et qu'on instrumentalise à l'envi. Les congélateurs idéologiques d'Ennahdha suggèrent à Cheikh Rached de dépêcher quelques troupes modérées nahdhaouies chez les Salafistes pour faire contrepoids à leurs outrances. Ainsi, nous aurons un salafisme avec une aile dure et une aile modérée et, jouant, sur cet équilibre réellement hypothétique, Ali Laârayedh pourra leur accorder leur parti aux Salafistes tout en enlevant cette épine du pied d'Ennahdha. Il reste que beaucoup parmi les Nahdhaouis ne sont pas près de faire des concessions démocratiques ou d'ordre doctrinaire. Toutes ces tortures, toutes ces années de plomb seraient vaines et leur « combat messianique » inutile si l'on opte pour un Etat civil et non religieux basé sur la Chariaâ. Ils préconisent dès lors une meilleure intelligence avec les Salafistes et pourquoi pas une certaine inter-pénétration. Le moment venu, à leurs yeux (scénario catastrophe pour le pays), les Salafistes seraient pour Ennahdha ce qu'a été le GIA pour le FIS. Cheikh Rached comprend la gravité de ces enjeux. Ali Laârayedh et Hamadi Jebali aussi. Et alors, ils ne laisseront pas faire.