Par Khaled Guezmir - Le Cheikh Rached El Ghannouchi et les hauts dignitaires d'Ennahdha ont laissé faire les « salafistes » et ils vont les avoir longtemps sur le dos ! Ceux qui ont suivi le patron du parti islamiste modéré, vainqueur des élections du 23 octobre dernier, au « Midi-Show » de Radio Mosaïque, n'en croient pas leurs oreilles ! Cheikh Rached aurait pu être n'importe quel chef d'un grand parti européen héritier de Montesquieu, Locke ou même Voltaire. « Si les gens n'arrivent pas à comprendre la Chariaâ, on ne doit pas leur imposer… La Révolution a libéré les Tunisiens (hommes et femmes) et personne ne doit s'ériger en tuteur (Wassiya) pour leur imposer quoique ce soit ! » Martèle-t-il. « L'islam est la religion de la miséricorde (Arrahma) et tous les Tunisiens sont musulmans…», avant d'ajouter « l'art. 1 de l'ancienne Constitution est largement suffisant pour affirmer l'identité arabo-musulmane du pays » (fin de citation). Bien mieux le Cheikh défend l'opposition numériquement et qualitativement valable pour qu'Ennahdha puisse avoir un partenaire crédible. « La scène politique nationale pourrait se contenter de trois ou quatre pôles capables de gouverner en coalition et assurer l'alternance politique si les électeurs le décident » ! On croit rêver ! Mais alors pourquoi avoir attendu si longtemps et accepté la division du pays sur la base de la religion qui échappe de justesse à la « fitna » ! M. Rached El Ghannouchi a rappelé enfin, à qui… ? Certainement à ses collaborateurs et extrémistes zêlés de la Constituante qu'Ennahdha s'en tient à son programme électoral, qui s'attache à l'art. 1 de l'ancienne Constitution et au gouvernement civil… donc, au respect de la démocratie classique telle que exercée en Occident et non en Orient ! Ennahdha « ne peut pas et ne doit pas renier ses engagements électoraux » conclut-il ! Ouf… ! Le Cheikh par cette déclaration a remis les pendules de son parti à l'heure, mais surtout sauver Ennahdha de toute la cacophonie qui a failli entraîner le pays dans une véritable « guerre » de religions. Pour ma part, j'ai toujours considéré Cheikh Rached comme un « libéral » mais Ennahdha a enfanté, comme tous les partis à base idéologique large, des « Shismes » où les cadres intermédiaires sont plus royalistes que le Roi. Maintenant il va falloir réajuster l'attitude d'Ennahdha sur le terrain, car si sa crédibilité « religieuse » n'est pas atteinte, il n'en demeure pas moins qu'elle a perdu énormément de sympathie dans le corps social. D'ailleurs, comme le reconnaît le Cheikh Rached, beaucoup de Tunisiennes et de Tunisiens, ne se reconnaissent pas dans ce « conflit religieux » qui semble s'installer dans la durée dans ce pays. La Révolution a été celle de la liberté et de la dignité et donc, l'objectif essentiel c'est de bâtir comme en Occident, un Etat démocratique et social où l'alternance politique reste l'élément majeur, car sans elle, il n'y a pas de démocratie possible et le retour au totalitarisme de l'ancien régime reste possible. Par ailleurs, il faut réinventer les mécanismes de la justice sociale et du développement régional solidaire, sans handicaper la croissance économique, la liberté d'entreprendre et la compétitivité des entreprises. Les conseillers du Cheikh Rached qui ont poussé à porter les débats sur le terrain vaseux de la religion, ont eu tort, et Ennahdha risque d'en payer le prix aux prochaines élections. D'où la nécessité de faire le choix peut être amer et Cornélien » : veut-t-on un pouvoir absolu et majoritaire avec un sous-bassement « salafiste » et religieux pur et dur, ou veut-on, encore une fois une démocratie libérale et sociale véritable en jouant le jeu d'une alternance possible et même perte de pouvoir si la « volonté générale » des Tunisiens l'exprime et le décide ! Pour ma part, et sans anticiper quoique ce soit, je pense que le Cheikh Rached doit reprendre en main et vite ses troupes et ses cadres, car la tentation « satanique » de l'absolutisme religieux est bien vive dans les champs bleus et « verdoyants » d'Ennahdha !