Lorsque Mohamed Lamine Bey, ordonna à son garde du sceau de sceller le décret instituant l'assemblée constituante, était-il tout a fait conscient de la portée d'un tel acte sur le devenir du régime monarchique dont il était le chef suprême et le garant ? A vrai dire, il faut revenir aux faits historiques de l'époque pour pouvoir élucider au mieux cette question. Cela faisait déjà un an que la Tunisie avait accédé à l'indépendance proclamée le 20 mars 1956. Le leader Bourguiba était nommé premier ministre du Bey depuis 1956 et ses relations avec celui-ci étaient « au beau fixe » Le Bey n'hésita pas à signer sur sa proposition un certain nombre de décrets dont celui du 13 août 1956 portant promulgation du code du statut personnel. Il approuva même en mai 1956 un décret abolissant les privilèges de la famille beylicale, avec toutefois une grande réticence et après avoir été convaincu de la nécessité d'un tel décret. Le dernier décret que le Bey avait approuvé, était celui en vertu duquel le régime des habous ou « Wakf » fut aboli, le 18 juillet 1957, soit à peine dix jours avant la proclamation de la République. Etait-il de ce fait confiant que cette assemblée opterait pour un régime de monarchie constitutionnelle ? D'aucuns pencheraient pour cette alternative, et ce sont notamment les défenseurs d'un tel régime. D'autant plus que le système de monarchie limitée ou constitutionnelle n'empêche nullement l'exercice de la démocratie où le peuple est représenté par une assemblée dont les membres contrôlent l'action du monarque évitant par là un mécanisme défini à l'avance par la constitution, les débordements et les abus de pouvoirs du monarque. Le système a d'ailleurs commencé à fonctionner en portant ses fruits, bien avant le régime républicain, que ce soit en France ou en Angleterre où d'ailleurs il est encore maintenu jusqu'à nos jours, ainsi que dans quelques pays d'Europe. Toutefois un tel régime ne pouvait propérer en Tunisie à l'époque et ce, pour deux raisons essentielles, abstraction faite du charisme du leader Bourguiba dont la position ainsi que celle de la majorité des membres de l'assemblée constituante étaient pour l'institution d'une République. La première raison était liée à la position de cette monarchie Beylicale qui avait favorisé voire encouragé l'occupation du pays par l'étranger. ` Petit à petit les membres de la dynastie husseïnite, voulant se détacher du joug de l'Empire ottoman, cherchaient à gagner la sympathie et l'amitié des pays d'Europe dont notamment la France. Après l'institution du Pacte fondamental en Ahd El Amane énonçant le principe de la non discrimination dans son préambule fut promulguée en 1861 la première constitution tunisienne sous Sadok Bey. Instituant entre autres un conseil législatif de 60 membres devant lequel celui-ci était responsable. Toutefois cette constitution tomba peu à peu en désuétude, car elle ne fut jamais appliquée. Elle servit juste à Sadok Bey de s'en prévaloir auprès de ses amis français, et lui valut d'être décoré par la légion, d'honneur de la main du monarque français lors de sa rencontre avec lui en Algérie. Evidemment sous Sadok Bey la conjoncture on ne peut plus déplorable, tant sur le plan politique avec une cour où les malversations étaient de mise, que sur le plan économique et social, favorisa et accentua le processus de l'occupation de la Tunisie par la France. Cependant l'attitude patriotique de certains souverains dont notamment Moncef Bey n'était que l'exception qui confirmait la règle. Le Bey restait aux yeux du peuple celui qui fut manipulé par l'occupant au détriment de celui-ci Quant à la deuxième raison, corollaire d'ailleurs de la première, elle découlait d'un consensus de la majorité du peuple tunisien pour lequel le Bey était l'exemple même du monarque absolu aux ordres duquel il devait se plier sans aucune discussion. Il faisait donc fausse note avec une Tunisie nouvellement indépendante, et libérée du joug d'un occupant dont il était l'agent et le collaborateur. L'ouverture de certains Beys en effet, aux militants tunisiens, n'était qu'une attitude exercée du reste sous le contrôle de l'occupant. A chaque fois qu'un Bey voulait agir de son propre chef pour apporter son soutien aux militant tunisiens, il était très vite rappelé à l'ordre par le Résident général français qui lui dictait la politique à suivre sous le contrôle de son gouvernement. Ce fut le cas de Naceur Bey qui reçut la délégation du Destour et avait même menacé de quitter le trône à un moment donné. Mais il a été très vite rappelé à l'ordre et finit par céder. Moncef Bey, fut le seul à avoir été victime par son militantisme sincère et son abnégation et de ce fait il sort du lot, étant considéré, un militant martyr plus qu'un souverain. Au grand dam des défenseurs du régime monarchique, il y avait un consensus général, abstraction faite d'ailleurs de la personne de certains Beys qui pouvaient être animé du sens du patriotisme et toute la bonne volonté à vouloir défendre l'intérêt national, le Bey en tant que souverain n'était plus crédible, depuis la fameuse convention de mai 1881