L''enrichissement du paysage médiatique est, certes, la conséquence la plus naturelle dans un pays ayant vécu une Révolution comme la nôtre, chassant un dictateur et appelant à une liberté d'expression. Cependant, cet enrichissement a-t-il été conforme aux principes fondamentaux de cette Révolution ? Depuis la Révolution, le ministère de l'Intérieur a délivré plus de 25 récépissés pour la publication de nouveaux journaux et revues à savoir des quotidiens, des hebdomadaires, des magazines et des mensuels. A première vue, cette action a rencontré l'assentiment des politiciens, des professionnels du métier et des représentants de la société civile vu que cette action a été qualifiée comme le premier pas vers un nouvel air de liberté d'expression où chacun aura le droit de s'informer selon ses attentes et ses besoins dans un paysage médiatique riche et varié. Mais quelques semaines après, les mêmes personnes ont commencé à critiquer la majorité des nouvelles publications en les accusant de non-conformité à la déontologie du métier, d'obsession de la rapidité et de multiplication d'erreurs professionnelles. «Des supports de règlement de compte » « Sans l'ombre d'un doute, l'enrichissement du paysage médiatique est le rêve de tout journaliste et de tout tunisien assoiffé de parole libre et indépendante », affirme Najiba Hamrouni , présidente du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT). Elle ajoute que cet enrichissement ne peut se faire qu'avec l'apparition de nouveaux journaux et revues offrant un air de fraicheur et de liberté à la presse tout en répondant à toutes les couleurs politiques et religieuses. « Malheureusement, il s'est avéré que la plupart de ces publications ne sont que des “supports de règlement de compte” et des journaux de “presse jaune” pour ne pas dire plus ». De même avis que Najiba Hamrouni, Monji Khadhraoui, journaliste et membre du bureau exécutif du SNJT accuse un grand nombre de ces nouveaux journaux de bas niveau et de non-conformité aux règles les plus élémentaires de la presse. « Franchement, je pense que plus de la moitié de ces nouvelles publications n'ont aucun rapport avec le journalisme et l'information. En deux mots : un journal qui utilise des mots non appropriés et des expressions qui donnent des sueurs froides ne peut pas être compté parmi les journaux de la Tunisie de la Révolution et devrait être retiré immédiatement des kiosques, ce qui n'a pas été le cas, malheureusement », renchérit Monji Khadhroui. «Tout média a le droit à l'erreur» Mis à part, le bas niveau des expressions et des titres publiés dans plusieurs revues, l'appartenance politique demeure l'une des raisons pour lesquelles plusieurs journaux sont accusés de manque de transparence et de neutralité. Nesrine Ayari est une journaliste fraichement diplômée de l'Institut de Presse et des Sciences de l'Information. Pour Nesrine qui vient d'être recrutée par le journal “Al Fajr” connu comme étant le journal officiel d'Ennahdha , une chose est claire : pas besoin d'être islamiste militante pour travailler au sein du journal nommé “des barbus”. « Avec tous mes respects pour mes collègues qui jugent les publications selon leur couleur politique ou leur appartenance religieuse, je vois que ces revues ont eu au moins, la chance de commencer à travailler avec les valeurs et les principes de la Révolution et non pas de la Tunisie de Ben Ali. De plus, je pense que chaque organe de presse a le droit à l'erreur vu que nous sommes en phase d'apprentissage des principes de la presse libre et indépendante », dit Nesrine qui ne porte pas de voile et qui juge qu'il s'agit d'une décision personnelle dans laquelle personne parmi ses patrons n'a voulu intervenir. « Loin des insultes et des attaques directes et indirectes aux personnes, je trouve que les journalistes Tunisiens ont le droit de confondre entre critiquer et attaquer », affirme Sanim Ben Abdallah, sociologue et enseignant à l'IPSI. Selon lui, il n'est pas si facile d'avoir un regard critique, ou même seulement distancié, quand on n'a pas été formé pour cela. « Je ne comprends pas les attentes trop optimistes pour un nouveau paysage médiatique riche, varié, libre et indépendant après plus de 20 ans de censure et d'autocensure », note Sanim Ben Abdallah qui ajoute que les journalistes tunisiens réputés comme les champions de la langue de bois ont le droit à une période d'apprentissage de ce que sont les vrais règles de la liberté d'expression. En attendant, 41 nouvelles demandes ont été rejetées pour «non-conformité aux dispositions légales prévues par le Code de la Presse»… Samah MEFTAH