Il pleut des navets sur les télés comme toutes les années depuis que le petit écran s'est découvert une nouvelle fonction digestive pour des citoyens dont le gavage est le couronnement d'une journée de privations. Les marques de piété se multiplient en ce mois que les zélotes au pouvoir ont décidé d'affubler d'un coefficient de sainteté jamais égalé. « Annus horribilis », pour les « impies », les acculturés, les francs-maçons, les contre-révolutionnaires, les comploteurs de l'extrême-gauche, les laicards, les privés d'eau et d'électricité, les diplômés- chômeurs, toute cette Tunisie revancharde restée sourde aux prouesses d'un gouvernement hors du commun qui fait tout ce qui est en son pouvoir pour garantir le bonheur de ses citoyens et de ses citoyennes. Il y a quand même des limites à l'ingratitude. Il a suffi de quelques mois pour que notre chère Tunisie renoue avec son passé proche qu'on croyait à jamais emporté par la lame de fond révolutionnaire. Des milliers d'emplois détruits, des mouvements sociaux réprimés, des libertés individuelles menacées, une administration noyautée, aucun effort n'a été épargné pour faire de la Tunisie de la nouvelle ère démocratique un paradis sur terre. Les marchés n'ont jamais été mieux achalandés en ce mois saint preuve supplémentaire de la bonne gouvernance d'une équipe dirigeante aux petits soins avec ses concitoyens. Il y aura toujours des râleurs pour se lamenter de la flambée des prix. Qu'importe ! Il s'agit d'inculquer au néo-tunisien le sens du sacrifice et de la mesure dans la consommation. Et puis que ceux qui n'ont pas le sou crèvent ou montrent patte blanche en se laissant pousser la barbe on agira au cas par cas. Emboîtant le pas à leurs dirigeants, les télés ont décrété le Ramadan 2012, mois de l'abondance et du bon goût. « Maktoub » nous est retourné dans une version résolument politique et révolutionnaire. Très à gauche, de beaux garçons et de jolies filles se font les porte-voix des laissés pour compte de la Tunisie de Ben Ali qui n'existe plus Dieu merci. Drames et humiliations d'un lumpen prolétariat enragé de ne pas pouvoir se payer un sac à 1000 dinars, des peccadilles, otage d'une justice corrompue qui emprisonne les enfants de bonne famille qui ne demandent qu'à sauter la première venue. Un brûlot qui risque certainement d'enflammer les masses, une fois la digestion terminée. Des feuilletons, il y en a pléthore cette année, et à moins d'avoir cinq télés et cinq paires d'yeux, il faudra faire des sacrifices, renoncer à cette abondance de programmes qui nous est tombée dessus comme d'ailleurs pas mal de choses cette année. Que les fictions soient mauvaises c'est on ne peut plus normal, elles ne sont pas faites pour plaire mais pour faciliter ce très lent passage de l'animalité repue à un sang-blanc d'humanité. Exactement dans le sens contraire de la politique de nos dirigeants. Symptômes d'une révolution à venir menée Nessma, Hannibal et Ettounsia, nos trois grandes télévisions.