Alpha Blondy et Tiken Jah Fakoly n'ont pas chanté ensemble. Mais l'espace d'une soirée, le 28 juillet, ils ont partagé l'affiche et la scène de la 14e édition du festival Africajarc en France. C'était il y a quelques mois. L'idée de faire partager la même scène à deux figures emblématiques du reggae, Alpha Blondy et Tiken Jah Fakoly, qui avait germé un peu plus tôt au sein de l'équipe du festival Africajarc, commençait à se concrétiser. Les agendas des deux stars ivoiriennes, très chargés en cette période de festivals d'été en Europe, rendaient la chose possible pour le samedi 28 juillet. Une date idéale, censée précéder de quelques jours la Caravane de la paix et de la réconciliation dont les deux artistes devaient être les locomotives dans leur pays, la Côte d'Ivoire, qui se relève lentement de plusieurs années de crise. Pour cette Caravane, une chanson au titre sans équivoque de Réconciliation avait été enregistrée par Alpha, Tiken et plusieurs autres artistes ivoiriens.
Il y a quelques mois donc, les deux artistes avaient donné leur accord pour interpréter ce titre ensemble sur la scène de Cajarc, une ville du sud-ouest de la France. Mais la vie en a décidé autrement. Le titre, pourtant offert à la Commission dialogue vérité et réconciliation ivoirienne, n'a pas fait l'objet de la large diffusion escomptée. La Caravane, programmée pour débuter, à la demande du président Ouattara, le 7 août 2012, a été une nouvelle fois reportée et aucune date n'est à ce jour arrêtée. La réconciliation elle-même reste malheureusement encore insaisissable en Côte d'Ivoire.
La nécessité de la démocratisation
A défaut de chanter cette réconciliation sur scène, les deux Ivoiriens l'ont cependant appelée de leurs vœux de façon insistante, chacun avec ses mots, lors d'une conférence de presse mémorable. « Les artistes, a ainsi précisé Alpha Blondy, peuvent aider mais les politiques doivent conjuguer la réconciliation à travers leurs journaux. Il faut avoir l'honnêteté de dire que notre malaise est ethnique car l'ivoirité n'a pas été soignée. Pour extirper le virus de l'ivoirité, il faut commencer par désarmer les plumes des journaux ivoiriens qui la nourrissent... » « Il est important, a également souligné Tiken Jah Fakoly, que les Ivoiriens arrivent à se mettre au-dessus des ethnies, des religions... Pour avancer, il faut mettre l'accent sur la démocratisation de la Côte d'Ivoire et la nécessité de passer par le vote pour faire partir un responsable que l'on n'aime pas ! Nous n'avons pas le droit de laisser une Côte d'Ivoire non réconciliée à nos enfants ! »
Parmi les nombreux autres sujets abordés, beaucoup de politique (Laurent Gbagbo à La Haye, le développement de l'Afrique par les Africains, l'injustice des visas...) mais aussi certains moins graves. Les « deux Rois sacrés du reggae », comme les a surnommés le quotidien local La Dépêche du Lot, se sont ainsi accordés sur l'importance d'Africajarc comme festival qui représente l'Afrique, ou sur le caractère passé de la brouille qui jadis les opposa, bien plus par journaux interposés que par des points de vue fondamentalement différents. Le public ne s'y était d'ailleurs jamais vraiment fait prendre et le soir, l'imposante foule de 6 000 spectateurs « africajarcois » communia avec autant de ferveur au reggae de Tiken qu'à celui d'Alpha. (MFI)