Considéré comme l'acte de naissance du reggae africain, même s'il avait été précédé de quelques tentatives, Brigadier Sabari, qui figure sur le premier 33 tours de l'Ivoirien Alpha Blondy, a vu le jour il y a trente ans en studio à Abidjan. Retour sur l'histoire d'une chanson culte et de l'album Jah Glory qui l'a portée. La sirène de police, en guise d'introduction, plante le décor : « Il n'est pas recommandé de se balader la nuit quand on n'a pas ses papiers en règle », dit le texte de Brigadier Sabari. C'est l'histoire d'une rafle nocturne des forces de l'ordre dans les rues d'Abidjan, celle d'un jeune homme qui tient tête aux uniformes, sûr de son bon droit, et qui finit « plié comme un parachute » au fond du camion. « Brigadier, pardon ! », implore Alpha Blondy. Pas question d'en faire le titre phare Dans une Côte d'Ivoire encore à l'heure du parti unique, commercialiser une telle chanson n'est pas dénué de risques. Le producteur, Georges Benson, homme de la télévision nationale, redoute la réaction des autorités compétentes mais cède devant l'insistance de l'artiste. Pas question pour autant d'en faire le titre phare de son premier 33 tours. La mention « inclus Bintou Were Were », au recto de la pochette, laisse clairement comprendre que le choix initial se porte sur un autre des six morceaux. Le récit humoristique que le chanteur fait de ses mésaventures avec les policiers en décide autrement. « A ma grande surprise, je n'étais pas le seul à avoir pris des coups. Voilà ce qui a fait le succès de Brigadier Sabari : tous ceux qui avaient déjà goûté à la matraque se sont retrouvés dans cette chanson. » D'autres facteurs ont joué un rôle essentiel et s'ajoutent à cette analyse. « Les Ivoiriens ont découvert qu'on pouvait chanter le reggae dans une langue africaine. Et le dioula que je parle n'est pas celui d'Abidjan, « eau-de-javellisé», c'est celui du terroir, celui de ma grand-mère. J'ai écrit comme elle me parlait. Donc, les proverbes qui sortent de ma bouche touchent à la fois les personnes âgées, les gens du village, de l'intérieur du pays... »
Quelque chose est en train de se passer A Brooklyn, lors de son séjour aux Etats-Unis durant la décennie précédente, Alpha avait vu son rêve s'effondrer le jour où il devait poser ses voix en studio, alors que la musique était faite : personne n'était au rendez-vous. Le producteur jamaïcain, Clive Hunt, s'était envolé pour Londres sans prévenir ! Le nouveau projet qui se dessine à Abidjan annonce la fin tant attendue des années difficiles. « Je ne veux pas mourir dans la pauvreté », chante-t-il dans la première chanson de l'album. La rage semble sourdre dans sa voix. Le jour où les policiers, dont il a tant décrié les manières brutales, se mettent à l'apostropher pour plaisanter ou prendre une photo avec lui, il comprend soudain que quelque chose est en train de se passer. « On n'est jamais prêt. Ça démarre et tu te surprends à courir après ton propre convoi », observe-t-il trente ans plus tard. Plus qu'un succès, Brigadier Sabari et l'album dont il est extrait ont servi de solide fondation au reggae africain. Un modèle, un exemple, une influence majeure qui ne se dément toujours pas aujourd'hui pour tous les artistes qui se réclament de ce courant. (MFI)