Le 22 septembre, le nouveau département des Arts de l'islam au musée du Louvre à Paris, s'est ouvert au grand public. Sous un toit de verre et de lamelles dorées, un geste architectural très fort, sont exposées plus de 3 000 œuvres de l'art et de la civilisation du monde islamique. Les deux étages, plongés dans l'ombre et la lumière, représentent sur 3 000 mètres carrés une main tendue à travers des siècles, des continents, des langues, des religions et des cultures qui ont fait l'histoire de notre monde à tous. Nous reproduisons ici l'entretien publié par RFI avec Sophie Makariou, la directrice du département.
*Le Louvre est le plus grand musée du monde avec une collection unique. Le nouveau département des Arts de l'islam mérite-t-il les mêmes superlatifs ?
-Oui. On découvre ici une collection extraordinaire. Ce sont en fait les collections parisiennes, parce que nous avons la chance de présenter à la fois la collection du musée du Louvre et puis des pièces qui viennent du musée des Arts décoratifs qui a fait un dépôt de plus de 3 000 objets. C'est un ensemble absolument fabuleux qui dit à la fois toute l'épaisseur historique de la présence de ces objets dans nos collections, dans notre histoire, et l'engouement extraordinaire de la France pour les arts de l'Orient. Ce sont des signes pour une ouverture au monde et aussi des signes pour une ouverture esthétique.
*Jacques Chirac (le président français à l'époque), avait pris en 2002 la décision politique de créer ce département des Arts de l'islam. Mais qui avait eu l'idée en premier ?
-C'était Henri Loyrette en arrivant au musée du Louvre -je me souviens très bien de notre première discussion- qui avait évoqué cette idée. Il était bien au courant de l'importance de la collection. Il souhaitait qu'elle soit exposée plus largement. Le projet est parti comme cela, avec beaucoup d'enthousiasme. Au début, on n'avait pas rêvé que le projet prendrait cette dimension architecturale extraordinaire parce qu'on est assis ici dans « la » création du 21e siècle au musée du Louvre, plus de vingt ans 20 ans après l'inauguration de la pyramide du Louvre.
*Vous vivez depuis douze ans pratiquement en immersion totale avec ce projet qui s'est réalisé aujourd'hui. Avez-vous déjà un surnom comme « Madame des Arts d'islam » ?
-[Rires] Non, je n'ai pas de surnom, on m'appelle Sophie, comme toujours, mais c'est un projet qui m'a emmenée très loin.
*« Redonner sa grandeur à l'islam ». Cette phrase de vous, a-t-elle une signification politique ?
-Bien sûr. Henri Loyrette se plaît à dire qu'on vient voir l'histoire de France, mais aussi l'histoire du monde au Louvre. Et tout le musée est un musée où l'on dit des choses politiques, par exemple, sur le rapport entre l'art et le pouvoir. Pourquoi c'est politique ? Un musée est un lieu qui donne à réfléchir, c'est un lieu à partir duquel on peut voir le monde. Ici on découvre un monde et une civilisation infiniment divers et variés, habités par de nombreux peuples, par des religions différentes, pas uniquement la religion musulmane. Il y a aussi les communautés chrétiennes et juives d'Orient. Il y a aussi une énorme diversité de langues. Ce n'est pas uniquement un monde arabe, mais aussi persan, turc, s'étendant jusqu'à l'Inde. C'est un département qui couvre l'espace le plus large au musée : de l'Atlantique jusqu'à l'Inde et qui raconte une histoire de plus de mille ans.
*Que change ce huitième département pour les autres départements du Louvre ?
-D'abord, il y a un effet d'approbation au sein du musée qui est extrêmement fort. C'est pour tout le musée une fierté extraordinaire. Avec la création de ce département il y a aussi la construction de ce bâtiment incroyable, réalisé par les architectes Mario Bellini et Rudy Ricciotti. Et puis nous avons des nouvelles passerelles : il y a des objets qu'on remet à leur place, il y a des objets qui vont dialoguer différemment. On pourra renvoyer à l'histoire de l'Espagne après la reconquête chrétienne dans les autres salles. Peut-être on invitera aussi des objets d'autres départements. Cela permet de raconter une longue histoire. Et c'était quand même une pièce du puzzle qui manquait dans le musée, parce que les anciennes salles étaient souvent fermées.
*La construction de cette architecture splendide a coûté 98,5 millions d'euros. Il y a beaucoup de sponsors qui ont contribué dont le prince saoudien Alwaleed Bin Talal, cheikh Sabah Al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah, émir du Koweït, le sultan Qabous Bin Saïd Al-Saïd, sultan d'Oman. Le Louvre peut-il faire appel à des sponsors issus de pays peu démocratiques qui pratiquent la charia ?
-Beaucoup voulaient nous rejoindre. Toutes ces questions, on nous les pose. Le prince saoudien Alwaleed Bin Talal est le plus grand sponsor privé qui a fait un geste ô combien généreux à l'égard du musée. Notre architecte Rudy Ricciotti emploie une très jolie expression pour parler de ce projet. Il dit que cela est « la main tendue ». C'est la main tendue vers l'Orient. Pour créer des conditions d'un dialogue, d'une ouverture, d'un partage, il faut d'abord tendre la main. Tout vient ensuite. Et beaucoup de choses sont venues, beaucoup de choses se font. Je crois qu'il y a beaucoup de choses à partager.
Il faut saluer l'extrême discrétion de nos mécènes. Ils n'ont jamais voulu un droit de regard sur le projet. Il n'y a jamais eu le moindre questionnement, la moindre volonté de contrôle sur le message qui est délivré par les équipes du Louvre. Nous avons eu, du début jusqu'à la fin, la main sur tout ce que nous voulions dire. C'est une générosité extraordinaire et beaucoup de nos démocraties peuvent s'en inspirer.
*L'actualité est dominée par le film anti-islam L'innocence des musulmans, il y a des consulats et écoles français qui ont fermé . Avec son département des Arts de l'islam, le Louvre a-t-il un rôle à jouer dans cette actualité ?
-Le rôle du département est de montrer les arts et les civilisations de l'islam dans toute sa splendeur et grandeur. Quand on a fait un tour des espaces, on en sort avec une vision extrêmement différente de celle que nous fournissent les informations dans les médias. Un monde qui n'est pas monocolore, qui n'est pas mono religieux, qui est infiniment divers. C'est à cela qu'on invite tous les visiteurs du monde entier à voir. (RFI)