Le premier colloque international sur le mécénat culturel en Tunisie qui s'est tenu a Sidi Bou Said dans cette magnifique demeure du Baron d'Erlanger, Ennejma Ezzahra- les 28 et 29 octobre, représente une belle initiative de la part de l'Association Tunisienne pour la sauvegarde des Musées et des sites Archéologiques « Tourath » (patrimoine en arabe) et de l'Agence de Co-développement Franco-Tunisien l'ACFT en partenariat avec les Ministères de la Culture et de la Sauvegarde du Patrimoine Tunisien et Français, le MEDEF France, l'UTICA et plusieurs autres partenaires… Que le mécénat prenne la forme d'une donation individuelle, comme c'est le cas pour le département des arts de l'Islam au Musée du Louvre à Paris pour lequel le prince Alwaleed Bin Talal Al Saud a fait une donation en numéraires ou celle d'un mécénat de compétences, comme on a pu le voir avec Philips ou Vinci pour le château de Versailles, d'une souscription, d'un legs ou d'un don à une association, le mécénat culturel, à la différence du sponsoring (ou parrainage) ne comporte pas de contrepartie. Ceci dit, et c'est particulièrement vrai pour le mécénat de compétences, le relais et la retransmission par les médias d'une action de mécénat est une forme de communication évoluée qui devient attrayante pour les entreprises. Encore faut-il que le cadre législatif, légal, fiscal, leur offre le moyen de participer à la restauration et à la valorisation du patrimoine ou à s'associer à l'image que pourrait leur permettre de véhiculer un artiste comme on a pu le voir dernièrement à Beaubourg avec Jeff Koons pour BMW.
Alors comment amener les entreprises à financer un patrimoine riche mais encore fragile ? Les nombreux spécialistes internationaux de haut niveau, des entreprises mécènes, des compétences culturelles, des artistes et des hommes d'affaires, auront présenté tout au long de ces deux journées leurs expériences et leurs réalisations. M. Pierre Ménat, Ambassadeur de France à Tunis, soulignait la gageure que représentait le mécénat culturel à faire se rencontrer deux logiques apparemment opposées, la valeur non marchande d'une œuvre d'art d'une part, et le souci de rentabilité de l'entreprise d'autre part. La présence française en Tunisie, plus d'un millier d'entreprises implantées, a un rôle majeur à jouer dans le mécénat afin de valoriser les richesses tunisiennes sachant qu'elle fait également partie intégrante de ce patrimoine. Jean-Pierre Mangiapan, président de l'ACFT, disait qu'il y avait de belles réalisations à faire. Il parlait de la première école de métiers d'art créée dans le cadre de la restauration de la Médina, fruit de la coopération de développement solidaire entre l'Agence et le Ministère Tunisien de la Culture. La restauration de Dar Ben Abdallah dans la Médina était aussi une réelle fierté. Il y a toutes les compétences pour permettre de valoriser le patrimoine, cet héritage commun d'une collectivité, au sein d'une Tunisie qui a un grand rôle à jouer au cœur du bassin méditerranéen. Mme Francesca Minguella, ancienne présidente pour l'association Espagnole pour le Mécénat et actuellement directrice de partners Espagne nous donnait son expérience et affirmait que le cadre juridique espagnol était extrêmement favorable au mécénat. Mme Marie-Christine Oghly, représentante du MEDEF île-de-France et présidente des Chambres des Femmes d'Affaires Françaises, affirmait qu'il était tout à fait possible de calquer le modèle français concernant le mécénat. Elle espérait que ce colloque puisse être l'occasion d'offrir des propositions concrètes de restauration et autres projets culturels, prenant l'engagement de les défendre auprès des entreprises françaises, afin de les inciter à s'impliquer dans le mécénat culturel en Tunisie. Pour elle, ce colloque est un moment de sensibilisation important et pourrait permettre de mettre en place une commission mécénat. Mme Faouzia Slama, présidente des Chambres des Femmes d'Affaires Tunisiennes, disait que les Français ont une culture du mécénat à envier. M. Raja Farhat, Homme de théâtre et de spectacles, écrivain, acteur, scénariste, metteur en scène, plusieurs fois directeur de prestigieux festivals, animateur et expert culturel...affirmait que « Nous avons accueilli les phéniciens et cette terre a connu une période faste, celle de Carthage, ensuite entièrement détruite jusqu'à la plus infime mémoire par Rome, elle a été reconstruite des siècles plus tard par les Aghlabides qui ont un peu hérité de la culture romaine en matière de beauté architecturale », en fait « nous sommes une synthèse de tout ce que les civilisations passées nous ont apportés. Même les Vandales qui nous ont pillés, ont empreint notre culture ». Et pourtant les Tunisiens ne sont pas très au fait de leur propre histoire.
La reconstruction du jeune homme de Byrsa, comme ressuscité de ses cendres et témoignant de nos origines pourrait réconcilier le Tunisien avec son héritage. En effet, cette exposition a suscité l'intérêt de quelques milliers de nos compatriotes venus découvrir cet événement.
M. Mohamed Zine el Abidine, chargé de mission auprès du ministère de la Culture et de la Sauvegarde du Patrimoine et directeur de la Cité de la culture, défendait ce grand projet en invitant les hommes d'affaires à contribuer à le faire vivre. Il ajoutait que «L'Etat supporte énormément de travaux destinés à la culture, il ne peut pas tout faire à lui seul comme former, aider à la création, subventionner, et acheter. Il faut aussi que les privés et que les entreprises s'y engagent, par divers moyens comme le sponsoring, les donations, les aides ».
M. Ali Slama, Représentant de l'UTICA, Député et Vice-Président de Tourath, a déclaré que l'UTICA accordait de l'importance à ce colloque, comme étant le premier du genre à poser les marques d'une réflexion sur le cadre juridique et fiscal à même d'inciter les entreprises à s'engager dans des activités de mécénat. Il soulignait la nécessité pour le droit tunisien d'intégrer les personnes morales telles que les fondations. Enfin, M. Noureddine Harrazi, le Représentant de l'ALECSO a souligné le coût de plus en plus élevé de la mise en valeur du patrimoine, d'où le nécessaire recours aux entreprises privées. En fait, une coopération des parties concernées est nécessaire pour que la culture du mécénat puisse se développer dans le monde arabe. Pour M. Rejeb Elloumi, Président de l'association Tourath et Vice-Président Délégué de l'ACFT, il s'agit de permettre de renforcer le partenariat entre les Rives Sud et Nord de la Méditerranée et d'aider notre pays à adopter l'évolution de ce champ culturel pour sauvegarder et mettre en valeur notre patrimoine archéologique. «Je pense que des actions pour protéger le patrimoine et restaurer les monuments nationaux valent la peine d'être soutenues par l'Etat et les privés. Les clubs sportifs bénéficient bien d'exemption d'impôts quand il s'agit de dons, pourquoi pas le mécénat culturel ?». M. Alexis Vincent Gomez, homme d'affaires, avocat à Brazzaville au Congo et mécène apportait son sympathique témoignage. Passionné d'art et de photo, il affirmait que le mécénat était avant tout une histoire d'amour et il citait avec humour que « les linceuls n'ont pas de poches ». M. Slim Tlatli, ministre du Tourisme, affirmait que la promotion du tourisme représentait un axe central pour l'immense richesse de notre patrimoine. Mettre en valeur le patrimoine national et contribuer au rayonnement de la Tunisie dans les manifestations internationales et dans sa démarche politique, économique et associative auprès des pays du bassin méditerranéen et des pays frères et amis est primordial pour renforcer davantage l'amitié et l'échange de points de vue et de pratiques avec des pays qui ont déjà une expérience dans le domaine de la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine. Le mécénat sera -t-il au service du patrimoine pour que celui-ci soit à son tour au service de l'économie ? Affaire à suivre…