L'Association des Magistrats Tunisiens (AMT) a annoncé l'organisation à partir d'aujourd'hui, d'un sit-in au siège de l'Association. C'est un acte de contestation contre la décision relative au dernier mouvement décidé par le ministre de la Justice et entérinée par le Conseil Supérieur de la Magistrature réactivé de nouveau à cette occasion. Les services des tribunaux vont-ils s'arrêter ? Au juste quels sont les griefs qui émaillent le dernier mouvement des magistrats ?
Raoudha Karafi, vice- présidente de l'Association des Magistrats Tunisiens (AMT) a précisé au Temps que « le sit-in ne signifie pas un arrêt du travail et ne se traduira pas en une occupation des lieux. L'action de protestation se passera hors des heures de travail. Des groupes de magistrats se relayeront au local de l'Association au Palais de Justice à Tunis, dès lors qu'ils terminé achevé leur travail ». Ce mouvement de colère est un acte de protestation contestant le dernier mouvement décidé parmi les magistrats. C'est une décision qui a été prise lors du dernier conseil nationale de l'association tenu à La Soukra le 23 septembre dernier. L'Association considère que le mouvement des magistrats est contraire à l'indépendance de la magistrature. « Ce sont des décisions prises par le ministre de la Justice qu'il a fait entériner par le Conseil Supérieur de la Magistrature hérité de l'ancien régime ». affirme la vice-présidente. Elle ajoute que « le Conseil Supérieur de la Magistrature a été utilisé comme appareil servant à mettre les magistrats sous la coupe du pouvoir exécutif ». Les sitinneurs, exprimeront leur refus de ce mouvement. « Les magistrats ont atteint un degré de conscience tel qu'ils refusent l'instrumentalisation de la magistrature par le pouvoir politique. Cette opération a permis dans le passé d'assujettir la magistrature. Nous n'avions pas une justice indépendante. Nous voulons que les magistrats soient au dessus de la mêlée, c'est-à-dire qu'ils doivent garder leurs distances vis-à-vis de la politique. Ils refusent l'instrumentalisation », dit Raoudha Karafi. Le dernier mouvement dans le corps des magistrats a été un coup dur porté à l'indépendance, en reproduisant systématiquement l'ancien système. Le pouvoir exécutif satellisait l'appareil judiciaire à travers les postes de responsabilité fonctionnelles. Cette pratique se poursuit. « Les magistrats soucieux de leur indépendance se sont vus privés de postes fonctionnels. Des dizaines de magistrats ont connu des mutations disciplinaires », prévient Raoudha Karafi.
Elle ajoute que le pouvoir politique affirme que ceux qui avaient instruit des procès politiques n'ont pas été inquiétés. Ils ont obtenu des postes fonctionnels. « Le magistrat qui prêtait le flanc aux parodies des procès politiques est donc promu après la Révolution. Il restera un élément docile facilement utilisable pour intenter à l'indépendance de la Justice ». Que penseront les jeunes magistrats ? « C'est un très mauvais message pour eux, lorsqu'ils voient que le magistrat qui s'est impliqué dans la répression, récompensé en guise de fidélité complice ». Le ministre de la Justice avait déclaré que « le mouvement des magistrats a satisfait 95% des concernés ». A cette affirmation Raoudha Karafi rétorque « que le pouvoir politique représenté par le ministre de la Justice n'a pas à parler au nom des magistrats. Seules leurs structures sont en droit de se prononcer. Les magistrats exercent sous pression et dans la terreur. Ce n'est pas le taux de satisfaction des magistrats qui détermine l'indépendance de la Justice ». Et si les magistrats et le pouvoir s'entendaient pour ne pas réformer la justice, est-ce une raison pour dire que la justice ne doit pas être réformée ?
« Le dernier mouvement a un caractère politique. Il bafoue l'indépendance de la Justice », insiste notre interlocutrice.
Certains disent que le pouvoir était obligé d'opérer ce mouvement dans le corps des magistrats. Raoudha Karafi leur répond qu'on ne peut parler de mouvement fait sous la pression de l'urgence lorsqu'il touche 800 magistrats. Il fallait mettre sur pied l'Instance provisoire de la magistrature qui devait procéder à ce mouvement. « Selon les intentions affichées, le défunt Conseil Supérieur de la Magistrature, continuera à être utilisé », prévient la vice-présidente de l'AMT. Et dire que la Justice est au cœur des questions de libertés et de la lutte contre la corruption ! Notre interlocutrice dira « si l'opinion publique ne constate pas que l'hégémonie exercée sur la justice a diminué, elle continuera à exercer sa pression sur les magistrats ». Pour conforter l'opinion publique, les citoyens doivent sentir de manière concrète et palpable que la carrière professionnelle des magistrats n'a rien à avoir avec la vie politique. « Tant qu'il y a des fissures à travers lesquelles le pouvoir exécutif peut exercer son hégémonie, la pression sur les magistrats ne s'arrêtera pas ». Il faut rassurer le justiciable. Là l'indépendance des magistrats est capitale.