Les promoteurs des écoles refusent de se soumettre aux inspections Certains gouverneurs n'appliquent pas les avis de fermeture émis par le ministère des Affaires de la Femme et de la Famille
Les écoles coraniques gérées par des associations religieuses continuent à pousser comme des champignons hors de tout cadre légal, aux quatre coins de la République. Selon les données de la chambre nationale des jardins d'enfants relevant de l'Union Tunisienne de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat (UTICA), le nombre de ces établissements anarchiques s'élèverait à «plusieurs centaines» à l'échelle nationale. Contrairement aux quelque 3.843 jardins d'enfants et aux 1.200 «kottabs» traditionnels (écoles coraniques placées sous la tutelle du ministère de l'Education nationale), les écoles coraniques fondées par des associations aux financements occultes et aux objectifs vaguement définis ne sont pas régies par un cahier des charges bien précis.
La chambre nationale des jardins d'enfants a déjà tiré la sonnette d'alarme sur la prolifération de ce genre d'établissements. «Nous avons attiré l'attention du ministère des Affaire de la Femme et de la Famille sur le danger que représentent les écoles coraniques. Nous avons aussi appelé le ministère à saisir les délégués de la protection de l'enfance de cette affaire et à intensifier le contrôle de la conformité des programmes qui sont enseignés dans ces écoles à ceux définis par les autorités de tutelle», souligne Nébiha Tlili, présidente de la chambre. Le ministère des Affaires de la Femme et de la Famille semble avoir pleinement pris conscience de la gravité de l'expansion des jardins d'enfants gérés par des associations religieuses. «Un jardin d'enfants doit respecter scrupuleusement le cahier des charges et les autres dispositions légales en vigueur, dont notamment la loi du 8 avril 2003 permettant aux services du ministère d'aller à tout moment inspecter les lieux», a précisé Nadia Zbidi, responsable du service des jardins d'enfants au ministère.
Gouverneurs peu coopératifs !
La marge de manœuvre du département de tutelle est, toutefois, très étroite. Et pour cause: les promoteurs des écoles coraniques ne font qu'à leur tête et refusent souvent de se soumettre aux inspections. «Les écoles coraniques n'ont pas de programme précis et leurs promoteurs refusent d'accepter les inspections des représentants du ministère», a affirmé Sihem Badi, ministre des Affaires de la Femme et de la Famille, lors d'une conférence de presse tenue fin septembre dernier, indiquant au passage que «18 écoles coraniques anarchiques seulement ont été jusque-là signalées». Intervenant plus récemment sur les ondes de la radio privée Shems FM, Mme Badi a également révélé que «certains gouverneurs n'appliquent pas les avis de fermeture» émis par son département.
La ministre a, d'autre part, plaidé pour la mise en place d'un comité national constitué d'experts des ministères concernés (Premier ministère, Intérieur, Affaires religieuses, Education) pour veiller sur l'application des avis de fermeture des écoles coraniques qui ne se conforment pas à la règlementation en vigueur.
Danger d'embrigadement
Selon les professionnels du secteur de l'enseignement préscolaire, les écoles coraniques anarchiques s'adonnent à une sorte d'embrigadement des enfants en bas âge. «Dans ces établissements on impose souvent le voile aux fillettes et la séparation des deux sexes. Ce sont là des violations manifestes des droits de l'enfant», peste Nébiha Tlili. Pour la présidente de la chambre nationale des jardins d'enfants, l'enseignement religieux dispensé dans les écoles coraniques est « incompatible avec les capacités mentales de l'enfant».
Selon un imam qui a préféré garder l'anonymat, des cours épouvantant sur « Adhab El qabr » (le châtiment de la tombe), le cataclysme du jour du jugement dernier ou encore les châtiments des fillettes ne portant pas le hijab sont dispensés aux enfants âgés d'à peine trois ou quatre ans. D'après cet imam, les enseignants qui sont exclusivement de sexe masculin veillent à ce qu'il n'y ait aucun échange entre les fillettes et les garçons, arguant du fait que la mixité est « haram», tout comme les poupées et les nounours. L'imam adepte du rite malékite fondé sur la modération et la tolérance rappelle que la dictature instaurée par les talibans et leurs alliés d'Al-Qaïda en Afghanistan a commencé avec la multiplication des «medersas coraniques» qui s'étaient transformées au fil des années en véritables fabriques de fondamentalistes religieux...